mercredi 24 avril 2024

Les jardins ouvriers dans le quartier de Robien à Saint-Brieuc

 


Cette photo aérienne montre la subsistance de jardins ouvriers dans le quartier de Robien en 1978, dans un environnement très urbain, entre le boulevard Carnot et la rue François Ménez.

 

Le début des jardins ouvriers 

Le 21 janvier 1941, le Préfet des Côtes-du-Nord envoie un courrier à la mairie de Saint-Brieuc au sujet des jardins ouvriers. Il s'agit d'un résumé de la loi du 25 novembre 1940 relative au développement de ces jardins ouvriers et de l'octroi de subventions de la part de l’État.

Courrier 1941

"L'objet de cette loi étant de faciliter le ravitaillement des familles ouvrières en légumes en encourageant la création de nouveaux jardins ouvriers, pouvant seuls donner lieu à l'octroi de la subvention de 150 francs prévue".

Les jardins ouvriers concernés sont ceux qui sont "affectés à la culture intensive des légumes d’au moins 200 mètres carrés, qui auront été mis en exploitation dans une ville de plus de 2000 habitants".

Autre restriction, les  subventions seront accordées uniquement à des exploitants de jardins ouvriers tenant leur jardin d’une fédération ou d’une association reconnue et agréée par le Ministère de l’Agriculture.

Peu de temps après, cette circulaire est relayée par un article de Ouest-Eclair le 24 février 1941. On y retrouve les consignes du gouvernement de Vichy dans ce domaine, avec en titre : « Le ministre de l’agriculture a l’intention de faire procéder à une large distribution de jardins potagers. »

 

24 février 1941 Ouest-Eclair

Si le terme de "jardin ouvrier" est inventé en 1896 par l'abbé Lemire, c'est la crise de 1929 qui  donne un nouveau souffle à ce mouvement et, dans cette filiation, la période de l'Occupation entraîne un regain d'activités dans cette branche. On va voir se multiplier et s’organiser les jardins ouvriers un peu partout en France.

De nombreux habitants du quartier de Robien profitent déjà de cette occupation depuis que le quartier se développe dans les années 20 et 30. Ils n'ont pas attendu le gouvernement de Vichy pour cela... La société d'Horticulture s'est, de son côté, constituée en 1937.

Dans le secteur au sud des Forges-et-Laminoirs (rue de l’Ondine, en particulier), les jardins ouvriers font le bonheur des travailleurs des usines du quartier qui peuvent ainsi fournir leur famille en légumes. Les employés des chemins de fer et de l'usine Sambre-et-Meuse font de même.

 

Un concours dans les années 1940

Dès 1940, un concours est organisé pour classer les meilleurs jardins ouvriers de la ville de Saint-Brieuc.

Le journal Ouest-Eclair titre : Le magnifique essor des jardins ouvriers.

Dans un discours truffé de références à l’idéologie du Maréchal Pétain, de sa France laborieuse attachée au terroir, le journaliste de Ouest-Eclair parvient à son but : « claironner à toute notre région bretonne le magnifique effort des ouvriers briochins » !

« Nous avons, à diverses reprises, signalé l’émulation qui existe entre les jardiniers amateurs qui, profitant des dispositions de la loi du 5 décembre 1940, ont créé de toutes pièces des jardins là où le passant ne voyait que des terres encombrées d’immondices, et des terrains incultes où, selon l’expression consacrée « la main de l’homme n’avait jamais mis le pied ».

Ces travaux ont porté les fruits et les membres du jury du concours des jardins ouvriers ont marché de surprise en surprise… 

On pouvait craindre que les jardiniers novices ne soient vite découragés par un travail particulièrement ingrat. La ténacité bretonne a eu raison des difficultés sans nombre et c’est chose infiniment réconfortante pour les promoteurs de ce mouvement pour ceux qui aussi ont foi dans les destinées de notre race de voir, tout autour de notre ville, cette éclosion de jardins nouveaux.
Pour tous les jeunes qui seraient tentés de se laisser glisser sur la pente savonneuse de la vie facile, une telle œuvre constitue un exemple magnifique.

De grand cœur nous félicitons les ouvriers de la première heure, ceux qui jetèrent les bases de cette société en plein essor et nous saluons aussi, non sans respect, ceux qui, après les durs labeurs quotidiens, ont fait revivre un peu de terre de France ajoutant une pierre à l’édifice immense qui sera la patrie de demain ».

Les membres du jury se regroupent pour aller visiter différents lotissements de 9h à 19h et établir le palmarès des jardins. Cette délégation est notamment composée de M. Kérel, directeur de l’Office agricole départemental, M. Perrin, secrétaire général de la Société d’Horticulture ; Etiemble et de Hautefeuille, délégués de la section ouvrière ; Jean Nicolas, président de la Société d’Horticulture.

Le quartier de Robien est  très bien fourni en jardins puisque qu’on en dénombre 79. Il faut y ajouter les jardins des ouvriers de Sambre-et-Meuse, comptabilisés à part. Le journaliste note : « L’ensemble des 79 terrains de Robien fut particulièrement remarqué et M. Kérel constata avec une joie non dissimulée, qu’on chercherait vainement dans ce vaste espace l’ombre d’une mauvaise herbe ou la trace d’un doryphore. »

 

Les jardins visités dans les différents quartiers

Dans les années 40, les habitants de Robien bénéficient de la proximité du magasin de Louis Cornillet, un homme originaire de Langueux qui connait bien la terre et qui a été décoré de l'ordre du Mérite agricole. Il est installé 31 rue Condorcet.

Louis Cornillet. 1942 Facture 3L144 Archives municipales



Les débuts de la Société d’Horticulture 

On l'a lu précédemment, c'est Jean Nicolas, instituteur, qui fonde la Société d’Horticulture des Côtes-d’Armor. 

 

Jean Nicolas Ouest-France 1959

Jean Nicolas sait, dès le début, s’entourer de dévoués propagandistes : MM Rateau, Tocqué, Daumont, Commandant Martin, Dujardin. Il y a peu de femmes aux responsabilités, à part Mme Le Goff, directrice de l'Ecole ménagère et secrétaire de la société avant 1957 et remplacée alors par M. Guillermot.

Jean Nicolas reste président jusqu’en 1953 puis à la fin des années 50, le professeur Guyomard (en 1957) et M. Cyprien Rault (en 59), professeur d'agriculture à l’École Normale, prennent le relai au niveau de la présidence de l’association. Les services municipaux de Saint-Brieuc sont étroitement associés au travail de l’association.

Ci-dessous, le bureau de l'association  en janvier 1957: M. Daumont, trésorier ; M. Guyomard, président ; M. Victor Rault, maire de Saint-Brieuc ; M. Martin, membre du Conseil d'administration et M. Le Naour, vice-président.

14 janvier 1957 Ouest-France

11 février 1957 Ouest-France

Comme le dit à sa manière M. Guillermo, instituteur en retraite et secrétaire de l’association : « La Société d’Horticulture des Côtes-d’Armor et des Jardins ouvriers groupe toutes les personnes désireuses de développer le jardinage, pour un rendement en fleurs, ce qui fait honneur à la Ville, et en potager, pour servir le budget familial. » (22 janvier 1959 Ouest-France)

M. Guillermo en 1959

En 1957, la Société d’Horticulture des Côtes-d’Armor et des Jardins ouvriers fête son vingtième anniversaire le 14 avril avec un conférencier venant de Rennes, une tombola, une projection cinématographique et un banquet. 

En octobre 57 se tient la grand exposition d'automne dans la salle de Robien avec quatre sections : fleurs et plantes, fruits, légumes et agriculture. Trente participants sont répartis en trois catégories : amateurs, professionnels et commerçants. 

Cette exposition remporte "un magnifique succès", comme le titre Ouest-France, avec plus de 2 500 visiteurs.

Allocution de M. Guyomard.Exposition à Robien. 21 octobre 1957 Ouest-France


L'intérieur de l'exposition à Robien. 21 octobre 1957 Ouest-France

L'exposition de 1960. 18 octobre 1960 Ouest-France

En 1957, la société possédait 231 jardins mais en octobre 1959, la Société d’Horticulture et l’association des Jardins Ouvriers s’inquiètent de la réduction constante du nombre de terrains mis à la disposition de la Ville pour leurs activités. A Brézillet, une soixantaine de terrains ont été repris, au Plateau central (Balzac) également et l’architecte urbaniste n’a pas réservé d’emplacements pour les jardins ouvriers dans le plan de la Ville pour les projets à venir.

Il ne reste plus qu’une cinquantaine de terrains possibles à répartir entre les adhérents.

 

Ci-dessous, la photo montre M. Lorinquer, le doyen des jardiniers ouvriers, entouré de M. Rault, président de la société ; de M. Georges Tessier, adjoint au maire ; M. Martin, vice-président ; M. Guillermo, secrétaire et M. Laforge. 

12 octobre 1959 Ouest-France

Le bureau, présidé par M. Rault, au milieu,12 octobre 1959

16 janvier 1961 Ouest-France

  

Les jardins ouvriers à Robien

On trouve divers témoignages sur l'importance des jardins ouvriers de Robien.

Par exemple, Julia Lavanant, habitante de la cité des cheminots depuis 1936 raconte que la vie sur le boulevard Paul-Doumer a toujours été la campagne à la ville : « Lorsque nous avons débarqué dans la cité, tous les cheminots possédaient leur petite parcelle de jardins ouvriers. Elles se suivaient le long du ruisseau et ont été remplacées au milieu des années soixante-dix par le camping. » (Ouest-France 16 avril 1998)

En février 1955, on peut d'ailleurs noter que tous ces jardins furent inondés sous l'effet de la fonte des neiges et de pluies très violentes.

 

Inondation des jardins dans le bas du boulevard Paul Doumer. 25 février 1955.

 

Le Tertre Marie-Dondaine, entre la rue Luzel et la rue du Pré-Chesnay était constitué de baraques en bois et toutes possédaient un jardin (ci-dessous, cultures de pommes de terre jusqu'au ras de la cabane).

La famille Corack sur le Tertre Marie-Dondaine

Années 50. Vue aérienne du tertre avec ses baraques et ses jardins ouvriers.


Autre secteur important, la rue Cuverville qui surplombe la ligne de chemin de fer. Au début du XXème  siècle, de belles demeures vont être construites sur le côté gauche, côté impair, en descendant la rue. Ces maisons bordent la rue mais disposent en général de jardins de bonne taille sur l’arrière. Plusieurs maraichers y cultivent toutes sortes de légumes.

Notons que le concours des Jardins ouvriers récompense chaque année les meilleurs jardiniers. Dans le secteur de Robien, M. Lorinquer est quasiment hors compétition puisqu'il remporte le prix tous les ans.

Le 7 mars 1957 dans Ouest-France, Jules Lorinquer est interrogé avec trois autres de ses collègues jardiniers, Joseph Le Tinnier, habitant rue Colbert ; Francis Guérin, paveur à la Ville, demeurant rue Théodule Ribot et Armand Robin, 27 ans demeurant boulevard Pasteur, un jeune originaire de Laniscat qui n'a pas hésité à défricher une parcelle de terrain qu'on lui avait confiée.  



 
Jules Lorinquer, Joseph Le Tinnier, Francis Guérin et Armand Robin


Jules Lorinquer en 1957

Jules Lorinquer est âgé de 83 lorsqu'il est interrogé par Ouest-France en 1957. C'est un ancien cheminot demeurant boulevard Paul Doumer, un excellent jardinier qui remporte le prix tous les ans. Ses amis viennent régulièrement le consulter pour toutes les questions qui concernent le jardin :

"Ce n'est pas une fatigue pour moi, dit-il, c'est un agréable passe-temps. Voyez mon jardin à Brézillet. Il était inondé les semaines dernières mais il n'y a pas de mal. L'ail n'a pas souffert. D'ailleurs celui qui sème ici fin février rattrape le temps perdu.

Le retraité poursuit : Voilà la satisfaction du bon jardinier : voir tout pousser d'un jour à l'autre. A Saint-Brieuc, on peut toujours s'en tirer quand de fortes gelées ne viennent pas tout gâcher".

Jules Lorinquer, né en 1873, vivra jusqu'à 88 ans dans sa maison du boulevard Paul Doumer et il sera enterré à Maël-Carhaix en septembre 1961. En juillet 1961, on lui avait encore décerné le deuxième prix du concours des jardins ouvriers pour le secteur de Robien !

26 juillet 1961, Lorinquer en bas à gauche.

Dans une période plus récente, François et Marie Tardivel, habitant le Chemin des Eaux minérales depuis 1958, ont été régulièrement distingués par le jury des maisons fleuries mais ils entretenaient aussi un remarquable jardin potager, sur un terrain en pente.

Marie et François Tardivel. Chemin des Eaux minérales. 4 juin 1999 Ouest-France
 

 

Les jardins de Robien dans la littérature

L'écrivain Christian Prigent a souvent mis en scène les jardins ouvriers de Robien, son ouvrage Chino au Jardin en est le plus bel exemple.




Dans Chino au Jardin, Christian Prigent évoque le jardin familial de la rue de l’Ondine :

« J’ai vu mon père le dos tourné vers le poulailler faire ses dévotions en douce au dieu caché mais non perdu de son enfance. J’ai vu le jardin arborer pour moi ses réussites en fruits et légumes parfaits. J’ai vu mon père de face le béret de travers au bout du sillon souffler une minute […] Le jardin ne me revient que s’il émane de la sueur sensible de mon père ».

Dans un autre passage, c’est la fin des jardins ouvriers dont il est question : 

« Salut ici aux jardins massacrés !  […] Tous furent arrachés aux draps de talus, haies, barrières et palissades où ils paressaient. Tous furent dévêtus de leurs chemises de noisetiers, de framboisiers, de pois de senteurs, de fanes de carottes et d’herbes folles. Alors surgit la horde des bulldozers et des pelleteuses. Tout fut éventré, excavé, retourné, écrabouillé, plat. Tout fut loti. »

 

Chino au Jardin. Lectures, juillet 2022


La société des jardins ouvriers dans les années 60

En 1960, comme chaque année, La Société d’Horticulture des Côtes-d’Armor et des Jardins ouvriers tient son assemblée générale sous la présidence de Cyprien Rault, son président.

11 janvier 1960 Ouest-France


Le concours constitue un moment fort de la vie de l'association et les jardiniers se prêtent volontiers à montrer le fruit de leurs efforts.

26 juin 1960 Ouest-France

 

Dans les années 60, la Société d’Horticulture des Côtes-d’Armor et des Jardins ouvriers continue de proposer de l'aide pour les jardiniers de manière pratique mais aussi par le biais de conférences (ci-dessous, la culture des asperges par M. Rault). 

8 novembre 1960 Ouest-France



Le saviez-vous ?

Le quartier de Robien porte la trace de ces jardins ouvriers avec en 2010 la construction de la résidence Les jardins de l'Ondine au 2 rue Sergent Béziers de la Fosse.

 

Le saviez-vous ?

De nos jours les pratiques se renouvellent dans le jardinage à Robien avec en particulier le jardin partagé place Octave Brilleaud. Notons aussi la présence de l'association Vert le Jardin.

Le jardin partagé de Robien. Photo RF

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Sources

Archives de Ouest-Eclair et de Ouest-France

Archives municipales, 345 W, dossier 53, circulaire préfectorale 1941 et autres dossiers sur les différents jardins ouvriers de la ville de Saint-Brieuc (Ville Guyomard, Ville Oger, Croix Saint-Lambert…

Entretiens avec Christian Prigent

Chino au Jardin, Christian Prigent, éditions P.O.L 2021

Historique des jardins ouvriers, cliquer ici

Les jardins familiaux de St Brieuc, contact :  jarfambriochins@gmail.com

 


Le nouveau conseil d’administration des Jardins Familiaux réuni le jeudi 14 avril 2022. Le président Yves Flageul (2e à gauche) est entouré (de gauche à droite) par Ghislaine Morin, trésorière adjointe ; Henri Philippe, secrétaire ; Armand Allouard, assesseur ; Jacky Rio, trésorier ; Jacques Bestory, assesseur ; Jean Glairan, vice-président. Photo Ouest-France 2022

 

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