dimanche 5 mars 2023

Yves Blivet, artisan à Robien, président des Amis de la Paix à Saint-Brieuc en 1931

 

 

Yves Blivet est né le 25 septembre 1876 à Loudéac. Il habite à Rennes de 1900 à 1906, est domicilié à Quintin de 1906 à 1919 puis arrive à Saint-Brieuc, rue Brizeux, après la guerre en mars 1919.

Dans le recensement de 1934, on découvre qu’il est inscrit comme Peintre en lettres-Décorateur au 28 rue Aristide Briand, dans la galerie commerciale de Robien. En 1936, il est directeur commercial, toujours à la même adresse alors que son gendre et sa fille, Jean et Marie Jalet, tiennent la mercerie. Voilà sur le plan professionnel.

La mercerie Jalet-Blivet, 28 rue Aristide Briand

En 1932, Yves Blivet, devient le Président du Comité des Amis de la Paix à Saint-Brieuc. C’est un nouveau mouvement qui émerge dans les années 30, dans la vague pacifiste qui suit la Première guerre mondiale.
En tant qu’ancien combattant de 14-18, du 4 août 1914 au 29 janvier janvier 1919, Yves Blivet sait ce qu’il en est de la guerre. Il effectue tout d'abord son service militaire du 15 novembre 1897 au 24 septembre 1900.

Il reçoit la Croix de guerre le 7 décembre 1916 en tant que sous-officier. Il est cité à l'ordre du régiment pour son courage sous un bombardement accompagné de gaz toxiques le 1er juin 1918. Enfin, il reçoit la Médaille militaire en 1921(Journal Officiel du 21 janvier 1921).

Fiche de recensement militaire Yves Blivet 1896 Archives départementales.

 

 

"L'affirmation de la paix est le plus grand des combats".     

Jean Jaurès

 

 

La croisade de la jeunesse pour la Paix. 1929

 

De nombreuses personnes en France sont traumatisées par la guerre 14-18 et veulent tout faire pour qu’un tel désastre ne se reproduise plus. C’est ainsi que se met en place La croisade de la jeunesse pour la Paix en 1929. Ce mouvement va diffuser un message de paix dans tout l’Ouest de la France à Brest, Morlaix, Saint-Brieuc, Rennes, du 16 au 31 août de l’année 1929. Et l’originalité est d’y trouver de jeunes allemands !
Ils partent le 18 de Morlaix, s’arrêtent dans de nombreux villages, campent et arrivent à pied le 21 à Saint-Brieuc.
 

Le 22 août, ils tiennent une grande réunion dans la salle des fêtes de la mairie sous la présidence de M. Servain, maire de Saint-Brieuc. Dans les différentes organisations partenaires on trouve le Parti socialiste, la fédération des mutilés, la ligue des droits de l’Homme, la ligue de l’enseignement… L’évêque, monseigneur Serrand soutien également la manifestation.
Le pasteur Jean Scarabin fait une première intervention très applaudie ; Mme Etienne, présidente des veuves de guerre est encore plus applaudie, suivie par Mme Salonne-Le Gac revenant du congrès international des Femmes qui s’est tenu à Berlin.

Un jeune allemand de 15 ans est conspué par une partie de la foule, venue semer le désordre, puis il parvient à délivrer son message "plein de tact et de courtoisie", terminant par le mot du maréchal Foch "Non, plus de guerre ! C'est trop abominable !". (Ouest-Eclair 29 août 1929)

C'est une première étape dans la constitution d'un mouvement pour la Paix à Saint-Brieuc. Les femmes vont y tenir une place importante.


 

Le Musée de la Paix à Saint-Brieuc


Dans un deuxième temps, en 1931, l'édition du 13 décembre du journal briochin Le Réveil rend compte d’une réunion qui s’est tenue le samedi 5 décembre 1931, sous la présidence du maire M. Brilleaud, pour la venue du Musée de la Paix, présentée du 28 janvier au dimanche 31 janvier 1932. M. Castignol est l’inspirateur de cette réunion. Mlle Journot et M. Hébert font approuver que l’on dépose une gerbe au monument aux morts avec l’inscription : « Aux victimes de la guerre. Les Amis de la Paix ». 

L’article est conclu avec la formule détournée « Si tu veux la paix, prépare la paix ».

 


 

Dans le numéro suivant du 27 décembre, le ton n’est plus à la concorde ! Le docteur Paul Boyer, éditorialiste du journal Le Réveil, commence par présenter des excuses à ses lecteurs n’ayant pas vu cet article avant la publication. Dans le cas contraire il s’y serait opposé car présenter le pacifisme de manière favorable est contraire à la ligne de conduite du journal. D’ailleurs des lecteurs ont exprimé leur étonnement, voire leur irritation. 

Le docteur Boyer. Carte postale des archives municipales

 

Le docteur Boyer en profite pour régler son compte à celui qui se veut pacifiste : Considérant qu’il fera tout pour ne pas se battre, le pacifiste a « une âme d’esclave, imbécile et lâche… ce n’est qu’un idiot incapable de comprendre que les plus simples réflexes l’obligeraient à réagir, à se défendre, si mal que soit ». Ce principe de paix à tout prix « est dénué de sens commun ». Non dit-il « pour avoir la paix, il faut être capable de l’imposer, il faut être le plus fort… La fraternité est un mythe. C’est entre frères qu’on se bat la plus aisément… Le pacifisme est une hypocrisie. Il est d’origine puritaine… Le pacifisme qu’on promène sous le nom de Musée de la Paix n’a qu’un but : désarmer la France et permettre  à l’Allemagne de prendre sa revanche…». 

C'est ainsi que, dans les colonnes de son journal, le docteur Boyer exprime d'une manière directe et sans fard tout le mal qu’il pense de cette initiative des Amis de la Paix de Saint-Brieuc.

 

 

Les amis de la Paix à Saint-Brieuc

 

La Dépêche de Brest revient sur la création de ce mouvement et publie un communiqué indiquant que le 30 décembre 1931, des personnalités appartenant à tous les milieux, et sans distinction d’opinions et de croyances, des représentants d’associations de Saint-Brieuc ont fondé un groupe des « Amis de la Paix ». Son but est de faire connaître les efforts des pacifistes pour aider à sauver la paix, pour défendre des solutions de paix ; pour aider à changer les esprits.

Le président est donc Yves Blivet ; la vice-présidente Mme Étienne, institutrice et veuve de guerre ; les vice-présidents le chanoine Le Bellec, vicaire général et le pasteur Jean Scarabin ; le secrétaire Max Hébert, directeur de l’école normale.

30 décembre 1931 La Dépêche de Brest

 

Mme Étienne est institutrice, vice-présidente de l'Association des mutilés et veuves de guerre mais aussi la présidente de la section locale de l'Union Française pour le Suffrage des Femmes (U.F.S.F) depuis au moins 1929. Elle s’était fait connaître cette année-là, bravant les préjugés avec ses amies comme Mme Le Gac-Salonne, au moment des élections sénatoriales d’octobre 1929.

Un livre d'Isabelle Le Boulanger

Elles ont distribué plus de 600 tracts et journaux féministes toute la journée d’élection, aux portes du Palais de Justice de Saint-Brieuc, malgré le vent et la pluie : « Par les soins de Mme Étienne et de ses amies, les 1685 délégués et suppléants, avaient reçu le tract de l’U.F.S.F, avec la carte d’Europe montrant les Françaises presque seules non électrices". (Ouest-Eclair 25 octobre 1929) 


 

Eugène Le Bellec est né à Ploubazlanec le 19 février 1890. Elève au petit Séminaire de Tréguier, il est nommé successivement vicaire à la paroisse de Lannion en 1921, directeur au grand Séminaire de Saint-Brieuc en 1926, vicaire général du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier, archidiacre de Tréguier en 1933 et enfin évêque de Vannes le 11 octobre 1941.

Médaillon d'Eugène Le Bellec. Cathédrale de Vannes
 

Le pasteur Jean Scarabin est né le 15 novembre 1876 à Plougras dans les Côtes-du-Nord. Après ses études de théologie et deux années passées à Londres, il effectue son service militaire. Il arrive à Saint-Brieuc en 1904 pour prendre son premier poste de Pasteur et y reste jusqu’en 1908 avant de partir dans le Trégor où il prêche en breton. Il est mobilisé entre 1914 et 1916. En 1932 il effectue son retour à Saint-Brieuc, c’est là qu’il s’engage dans les Amis de la Paix.
Notons que le pasteur et son épouse auront 8 enfants dont 5 filles, qui deviendront toutes institutrices publiques.

Le pasteur Jean Scarabin en 1939

Max Hébert a combattu en 14-18, il est officier de réserve. En tant que directeur de l’école normale il perfectionne l’instruction militaire des jeunes enseignants en formation. Il apporte son concours au Souvenir Français qui installe des croix sur les tombes des militaires. C’est un patriote.
Son épouse, Mme Hébert, est la présidente de l’œuvre du vêtement de Saint-Brieuc, une importante association humanitaire dans les années 30 qui s’illustrera par exemple lors de l’accueil des réfugiés espagnols en 1937-38 au sein du comité formé par Louis Guilloux et où on trouvait l’abbé Vallée et le pasteur Crespin.
 

La composition du groupe de responsables donne un échantillon assez ouvert de la société briochine avec la présence d'hommes et de femmes, de laïcs et de catholiques, associés à des protestants.

 



Localement, ce nouveau groupe a des soutiens. Evoquant la conférence prochaine des Amis de la Paix, le ton est très favorable dans l’édition du 10 janvier 1932 de La Croix des Côtes-du-Nord : « Les intentions des dirigeants de cette œuvre nouvelle sont excellentes, nous n’en doutons pas. Nous leur souhaitons de réaliser les idées généreuses de leur programme dans le respect des droits et des intérêts français. »

 

 

La conférence de Mme Malaterre-Sellier à Lorient. Lundi 11 janvier 1932

Juste avant de venir à Saint-Brieuc la mardi 12 janvier, Mme Malaterre-Sellier participe à un grand meeting contre la guerre, organisé à Lorient par le "Cartel de la Paix" et où sont réunis pas moins de 2500 auditeurs.

Après une brève présentation, la soirée débute par l'intervention de Mme Malaterre-Sellier qui examine dans son propos le danger de la course aux armements. Elle combat aussi les nationalismes, se plaint de la faiblesse de la S.D.N...Les autres interventions vont dans le même sens avec la Ligue des Droits de l'Homme, la C.G.T, la Libre pensée, la S.F.I.O...

 

La conférence de Mme Malaterre-Sellier à Saint-Brieuc. Mardi 12 janvier 1932


Sur proposition de Mme Étienne, la venue de Germaine Malaterre-Sellier a été programmée à Saint-Brieuc le mardi 12 janvier 1932 pour lancer ce mouvement et s’exprimer sur le thème : Pour la Paix, contre la guerre. 

Le 9 janvier parait un communiqué dans La Dépêche de Brest, signé de Mme Étienne.

U.F.S.F 9 janvier 1932 La Dépêche de Brest

 

Mme Malaterre-Sellier, deuxième en partant de la gauche. Photo collection Cattanéo


Née en 1889 dans une famille bourgeoise catholique, Germaine Malaterre-Sellier devient une infirmière à la conduite héroïque en 14-18. Son fiancé est tué sur le champ de bataille et en 1917 elle épouse un officier rencontré dans un hôpital. Elle est marquée à tout jamais par les horreurs de la guerre et s’engage après l’Armistice dans le féminisme, la cause européenne, la réconciliation franco-allemande et le pacifisme. En 1927 elle devient la présidente de la section de la Paix du Conseil National des Femmes Françaises (CNFF).

Nous n'avons pas le compte-rendu précis du contenu de la conférence de  Mme Malaterre-Sellier mais une semaine plus tard, La Dépêche de Brest publie quelques réflexions enthousiastes du rédacteur de l'article.

Mme Malaterre-Sellier à Saint-Brieuc 19 janvier 1932 La Dépêche de Brest

 

 

La fin des amis de la Paix

La presse locale ne mentionne malheureusement plus les activités de ce comité dans les mois et les années qui suivent cette conférence. Yves Blivet n'aura peut-être été qu'un éphémère président de cette association ?

Mais certains membres feront parler d'eux sur le même sujet. On sait que Max Hébert va continuer de s’engager publiquement, comme par exemple le 30 novembre 1938 où il anime une conférence à la Maison du Peuple sur le thème : "Après Munich, construire la Paix. Les problèmes de l’Europe centrale, la France et l’Allemagne". C’est l’Union Française pour le suffrage des femmes, avec à sa tête Mme Étienne, l'institutrice, qui organise cette conférence.

 

Conférence de Max Hébert 27 novembre 1938 Ouest-Eclair
 

 

En tant que présidente de la section locale pour le suffrage des femmes, Mme Etienne organise la venue à l’Hôtel de France à Saint-Brieuc d’une conférencière le 5 janvier 1935. Mlle Yvonne Ripa de Roveredo, peintre et graveuse, traite ce jour là du sujet de  "L’entraide parmi les femmes".
 

Mme Etienne. 5 janvier 1935 Ouest-Eclair


Quant à Mme Malaterre-Sellier, elle ne ménagera pas ses efforts pour faire avancer la cause des femmes et celle de la paix. 

Ces pacifistes, amis de la Paix, enthousiastes en 1931, n'étaient pas prêt à baisser les bras même si les circonstances n'étaient pas les plus faciles. Quelques années plus tard, ils allaient pouvoir rentrer en résistance...

 


 

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Sources
 

Recherches dans les archives des journaux suivants : La Dépêche de Brest, Le Réveil, La Croix des Côtes-du-Nord. 

Blog de l'histoire des protestants dans les Côtes d'Armor, biographie complète de Jean Scarabin, cliquer ici 

Photo du docteur Boyer, archives municipales, 8fi246. 

Site des archives départementales. Recensement militaire, Yves Blivet, matricule 662, registre 2, vue 215, cliquer ici



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