mardi 3 septembre 2024

Le football dans le quartier de Robien à Saint-Brieuc.1913-1925

 


Le football ne s'est pas développé si facilement en France au 20e siècle et ce n'est qu'en 1930 que se déroulera la première Coupe du monde. 

En Bretagne, le football est arrivé grâce aux anglais à Saint-Servan vers 1880-1890 où il y avait un collège pour les enfants des ouvriers qui travaillaient dans les compagnies maritimes. Un premier Stade rennais voit le jour en 1902 et le Stade Briochin Football est officiellement déclaré en 1904, il compte  une trentaine de membres. En 1912, un championnat dans l'Ouest va réunir 6 clubs avec Rennes, Saint-Servan, Laval, Saint-Brieuc. Les joueurs briochins sont entourés de joueurs anglais...

La toute première équipe du Stade Briochin de football. Assis au premier rang, de gauche à droite : Guibert, Joseph Connan, Guillaume Le Lousse (premier président jusqu'en 1911), Eveillard. Debout au second rang, de gauche à droite : Gaillard, Chauvel, Le Yaouank, W. Scelle-Hébert et Hémery

Ensuite, au début de la guerre 14, La Coupe de Alliés est créée (qui deviendra la Coupe de France) et le 28 juillet 1918 la Ligue de football de l’Ouest voit le jour avec une quarantaine de clubs.
Le football se développe avec les patronages catholiques mais les laïcs emboitent le pas rapidement pour ne pas laisser ce sport « aux curés ».

Retour sur les pionniers de ce sport à Saint-Brieuc et en particulier dans le quartier de Robien. 

Songeons que sans ces joueurs inconnus du grand public, passionnés par ce sport et qui l'ont fait vivre ici, un peu partout en France et dans bien d'autres autres pays, il n'y aurait peut-être jamais eu de Coupe du monde...

 

L’Association Sportive Robiennaise. 1912

Le Stade Briochin Football est créé officiellement le 28 mars 1904 et compte au départ une trentaine de joueurs autour de Guillaume Le Lousse, le premier président. 

Le stade Briochin. Photo sur le site du club

La Duguesclin de Saint-Brieuc, fait ses débuts dans le football des patronages dans les années 1908-1909 alors que le Stade Briochin Football a des débuts difficiles en étant battu 10 à 0 par le redoutable Football Stade Rennais en janvier 1909...

Un peu plus tard, dans le Journal Officiel du 14 août 1912, nous apprenons la création de l’Association Sportive Robiennaise. Le président en est M. Henry, 52 rue Jules Ferry. L’objet de l’association est au départ l’athlétisme. 



En octobre 1912, Ouest-Eclair publie d’ailleurs les résultats d’une fête athlétique à Guingamp où des sociétaires de la Robiennaise se sont particulièrement distingués dans certains concours comme G. Etesse 1er au 100 mètres et Le Restif deuxième, au lancement du disque 1er Etesse, deuxième Le Pouder, au saut en hauteur sans élan, 1er Tocquer, 2e Le Restif, 3e Le Pouder et au saut en longueur avec élan 2e Le Tocquer. 

 

Mais déjà en décembre 1913, la Robiennaise est engagée dans une compétition de football "La Coupe du Moniteur", avec dans son équipe Moulin, le gardien de but ; Gicquel, Gouhetti, arrières ; Henry, Le Bars, Domalain, Briand, Trévidic, demis ; Le Cocq, Cléach et Savidan, avants.

En janvier 1914, on trouve une trace d'un match de football entre La Robiennaise et l’École primaire Supérieure de Guingamp. 

Puis en février 1914, l'équipe de Robien est opposée à Uzel-Mûr. Ouest-Eclair ne tarit pas d'éloges pour l'AS Robiennaise qui a gagné 4 à 1 : "Remarqué à la Robiennaise, le jeu de Guédo, Le Deuff, Domalain, Le Gobien etc."

On peut facilement imaginer que la Guerre 14-18 a totalement mis par terre ce qui commençait à s'organiser autour du football dans le quartier... Il faudra attendre les années 20 pour que ces activités redémarrent.

Le 4 janvier 1924, Ouest-Eclair évoque le match entre la Jeanne d'Arc de Quintin et "la jeune mais excellente équipe de Saint-Brieuc, La Robiennaise, qui sous l'impulsion de son manager M. Pierron, le sportif briochin bien connu, marche de succès en succès..." Le journal parie sur la victoire "des gars de Robien".

Alphonse Pierron

La Robiennaise. 4 janvier 1924. Ouest-Eclair

 

L'Association Sportive du Cercle de Robien. 1923

L'association sportive, qui allait bientôt prendre le nom de La Vaillante, est lancée par l’abbé du Mesnil en décembre 1923 dans le quartier de Robien à Saint-Brieuc. L’association prend pour nom l’A.S.C.R (Association Sportive du Cercle de Robien). Son but est le « développement physique et moral des jeunes gens ». 

Il n'est pas étonnant qu'une section de football soit crée, ne pouvait-on pas lire dans le bulletin paroissial de Robien du 12 octobre 1924 que la boxe est "avec le football, l’un des meilleurs moyens de développer non seulement les forces musculaires, mais encore l’esprit de décision et l’énergie de la volonté. »

Dès l'année 1924-1925, la section football de l'A.S.C.R va figurer dans la championnat des patronages. 

 

Le premier compte-rendu publié dans la dépêche de Brest le 9 janvier 1924 fait apparaitre que le quartier de Robien est parvenu à engager trois équipes dans un championnat où s'affrontent les clubs des patronages. Le nom du club est l'ASC Robien.

On peut faire la liste de quelques footballeurs de Robien au travers de cet article. Les buts sont marqués par Gosselin, Marion, Legoff, Liscouet.

ASC Robien. 9 janvier 1924

 

Le deuxième match contre le stade Lamballais donne un match nul et beaucoup de joueurs sont absents dans l'ASC Robien : Miniec, Boëtard, Boschet et Surwald.

ASC Robien. 16 janvier 1924


L'ASC Robien rencontre la première équipe des moyens de Saint-Charles en janvier et l'avant-centre Surwald est toujours absent. "Robien se renforce toujours par de nouveaux éléments". L'ASC Robien doit rencontrer Les filets Rouges de Saint-Quay.

ASC Robien 23 janvier 1924

En mars, l'ASC Robien Première rencontre la troisième équipe du stade Briochin. Cadou est buteur pour Robien où il manque Hamet, Marrion, Person et Le Goff.

La troisième de Robien est battue par la deuxième de la Jeanne d'Arc de Quintin : "Partie courageuse des jeunes de Robien".


ASC Robien 5 mars 1924

En novembre, l’ASC Robien bat le Penthièvre de Lamballe dans un match comptant pour le challenge de la FGSPF. « L’ASC Robien possède une bonne équipe où la ligne d’avants émerge ».

AS de Robien 19 novembre 1924

 

En décembre la J-A de Quintin bat l’AS Robiennaise dans un match comptant pour le championnat des patronages des Côtes-du-Nord.

JA de Quintin-AS Robiennaise 17 décembre 1924

En février 1925, sur le terrain du boulevard Pasteur, l’Étoile sportive Saint-Michel bat l’Association sportive de Robien.


E.S St Michel contre A.S Robien. 18 février 1925

En août 1925 est publié le calendrier des rencontres de football en Division d’Honneur pour la saison 1925-1926 (L.O.F.A)

L’ASC Robien figure dans la groupe A avec le stade Lamballais, Saint-Brieuc ; l’Étoile sportive N-D de la Clarté, Perros-Guirec ; association sportive trécorroise (Tréguier).

Ci-dessus, l'équipe de Perros-Guirec en 1936. Ouest-Eclair 11 août 1936

 


En octobre 1925, l’Association sportive trécorroise (Tréguier) bat l’ASC Robien. Mais ce qui est marquant dans le compte-rendu est la désaffection du public : « Le football qui faisait recette il y a trois ans semble être déserté par beaucoup de gens. Quelle en serait donc la raison ? ». C’est peut-être ce qui va entrainer la disparition de ces compétions entre clubs de patronage et l'engagement des amateurs de football dans les autres clubs de football de Saint-Brieuc...

La Vaillante 1926 

En 1926, l’A.S.C.R devient La Vaillante de Robien. La gymnastique et la course à pied (cross-country) sont les premières activités qu’elle propose. Le terrain se situe "avenue de Robien", c'est à dire rue Jean Jaurès de nos jours, à proximité de l'école Sainte-Bernadette. 

Et comme les modes changent, bien plus tard, en 1945, le basket viendra remplacer à Robien l'engouement qu'avait commencé à susciter le football et la gymnastique... L'intérêt pour la course à pied ne faiblissant pas...


Ceux de Robien dans d'autres clubs

Tous les footballeurs de Robien ne jouaient pas forcément dans le quartier, pour preuve cette photo de l’équipe de football de l’U.S de Langueux de 1922 à 1928 où l'on trouve Louis Cornillet, bien connu comme expert-géomètre, installé à Robien.(On le reconnait, assis au centre, avec le ballon dans les mains)

On a en haut à gauche, Jean-Louis Jaffrian, J.M Beaudet (ancien maire), François Chardronnet, arrière ; Jules Rouxel, goal ; Goiguené, arrière ; Mathurin Bertho, Paul Baudet, Jules Redon, demi-centre ; Jean-Louis Robert, du Tertrain , Albert Fourré, de Robien. Ligne d’avants au premier rang : Jean-Louis Rouxel, Henri Hamon, Louis Cornillet, expert à Robien, avant-centre ; Jules Denis, Louis Jaffrain.

Club de football de Langueux 1922-1928. Photo dans Ouest-France 27 mars 1951

 

Le jour où le stade Briochin a éliminé le Stade Rennais

L'équipe deuxième du Stade Briochin. Ouest-Eclair 13 mai 1933

En 1937-1938, les professionnels du Stade Rennais ne s'attendaient pas à un tel échec alors qu'ils allaient rencontrer les amateurs du Stade Briochin à l'occasion des trente-deuxièmes de finale de la Coupe de France. Eux qui avaient été finalistes deux ans plus tôt vont être éliminés sur un score de 2 buts à 1. C'est un véritable exploit pour Saint-Brieuc d'avoir battu Rennes à domicile !

 


Les terrains de foot à Robien.

Le premier terrain sur lequel ont évolué des équipes de football dans le quartier de Robien se trouvait donc "avenue de Robien", c'est à dire au croisement de la rue Jean Jaurès et de la rue Aristide Briand.

Après 1945, le terrain utilisé par les footballeurs, mais aussi les basketteurs, se situait entre le boulevard Hoche et le chemin d'Yffiniac (rue François Ménez de nos jours). L'école Hoche n'était pas encore construite, elle ne le sera qu'en 1956 et avant il n'y avait qu'un terrain acheté dès 1937 par la Ville et quelques baraques en bois construites sommairement en 1939. Le terrain de sport était pourvu d'un petit vestiaire.

Par exemple, le dimanche 4 mars 1945 s'y déroulent un match du championnat de Bretagne de basket, et le dimanche 2 décembre 1945 à 10h30 un match entre l'amicale et les juniors du Collège Technique. 

En 1950, Ouest-France fait état d'un "grand match amical opposant la Penthièvre de Lamballe, leader de Division d'Honneur, et la Métal-Sports, seconde du championnat de Promotion".  

La photo qui suit montre que les garçons de l'école Hoche profitaient de la proximité de ce terrain. Ainsi, ils remportent un tournoi en gagnant devant l'école Baratoux en juin 1960. L'année précédente, les filles de l'école Carnot avaient gagné ce tournoi contre celles de Ginglin. Peut-être venaient-elles aussi s'entrainer sur ce terrain ?

Remise du challenge à l'équipe USEP de l'école Hoche 28 juin 1960 Ouest-France

 

Ci-dessous, l'équipe de l'école Hoche sur le terrain de foot.

L'équipe de foot USEP de l'école Hoche. 3 décembre 1960 Ouest-France


Le foot à Robien, les années 60-70-80

C'est avec les entreprises du quartier que le football va faire son grand retour à Robien dans les années 60-70-80 et en particulier avec les équipes des deux entreprises que sont Sambre-et-Meuse et les Forges-et-Laminoirs.

On apprend dans l'édition du 22 décembre 1959 de Ouest-France que, sur le stade Hélène Boucher, s’est déroulé le match entre les Municipaux et Sambre-et-Meuse.
Dans l’équipe des municipaux : Clément, Simon, Pierre Etesse, Bourgault, Lejeune, Rouvrais, Huet, Trivin, Gauthier, Lecoq, Jouyaux, Delaporte, Emile Le Denmat.
A Sambre-et-Meuse : Bouvrée, Lervannec, Pershoor, Milnar, Château, Le Mée, Philippe A et L, Touzé, Blévin, Boujeault, Lapeyre, Do Alto, Couretel, Jouan.
Les Municipaux ont gagné par 6 à 2.

Équipe de foot de Sambre-et-Meuse 22 décembre 1959 Ouest-France

Dans les années 70-80, le sport en entreprise est très développé. Par exemple dans les équipes du secteur engagées dans un championnat avec plusieurs divisions, on retrouve des institutions bien connues : Municipaux Saint-Brieuc, P.T.T, CRS 13, A.S Police, Rallye, Olida, Armor-Peinture, Chaffoteaux, Joint-Français, Forges-et-Laminoirs et Sambre-et-Meuse...

Quand on pense aux conflits sociaux qui ont pu se dérouler au début des années 70, on peut se demander s'il y a eu en 1972 une rencontre Le Joint-Français contre la CRS 13 ?!

La coupe de l'Ouest corporative permet des rencontres entre les clubs inscrits de Brest à Rennes. 

En juin 1974, au stade Fred-Aubert, l'équipe Sambre-et-Meuse bat celle de Chaffoteaux par le score de 5 à 1 et remporte la coupe corporative, une coupe qu'elle gagne aussi en 1979.

 

Chez Sambre-et-Meuse, où travaillent des centaines d'ouvriers, en mai 1980 (740 en 1978), quatorze équipes représentant les divers ateliers de l'usine se rencontrent dans leur tournoi annuel de football. Ouest-France mentionne que "Bien encouragés, les gars de l'entretien l'ont emporté en finale sur leurs camarades de moulage-main." (voir la photo ci-dessous)

 

Sambre-et-Meuse 19 mai 1980 Ouest-France
 

En 1993, les dirigeants du foot corpo sont inquiets car les difficultés économiques touchent de plein fouet leur activité : "Nos équipes vieillissent en raison du manque d'embauche dans les entreprises et disparaissent à plus ou moins long terme... Pour constituer des équipes, il faut regrouper les joueurs au sein de zones artisanales". Les dirigeants songent à mettre sur pied un challenge "corpo-loisir" qui signe la fin du foot corpo tel qu'il avait existé jusqu'à ce moment. (Ouest-France 3 septembre 1993) 

Jouer sous le maillot d'une "zone artisanale" n'avait certainement plus le même attrait que jouer sous le maillot de son entreprise et mélanger entreprises et association de loisir, c'était effectivement signer la fin d'une époque...

Et n'oublions pas en sport corpo à Saint-Brieuc, l'équipe féminine de football de Chaffoteaux, créée en 1971 et qui accède en Division 1 en 1980-1981. En 1999, l'équipe change de statut et devient "Saint-Brieuc Football Féminin", fusionnant en 2004 avec le Stade briochin. En 2011, nouvelle fusion avec l'En Avant de Guingamp.

Image du film "Shoot ! 100 ans de football en Bretagne"


 

Si vous avez des commentaires ou des documents à partager sur l'histoire des débuts du football à Saint-Brieuc et sur le quartier de Robien, merci d'utiliser le formulaire de contact en haut de page.

 

 

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Autres articles à consulter en lien avec cet article :
 

L'histoire de la boxe à Robien, cliquer ici

Alphonse Pierron, chef d'entreprise, sportif et entraineur, cliquer ici

L'histoire de l'usine Sambre-et-Meuse, cliquer ici



 

Sources

Recherches dans Ouest-Eclair, Ouest-France et dans La Dépêche de Brest depuis le 1er février 1914... 

Journal paroissial « La famille chrétienne » de 1911 à 1962. 

Souvenirs d'enfance de Christian Prigent qui habitait rue de l'Ondine et fréquentera l'école Hoche.

Site du Stade Briochin, pour découvrir l'histoire du club, cliquer ici

Histoire de l'équipe féminine de Chaffoteaux sur le site de En Envor, cliquer ici

Shoot ! 100 ans de football en Bretagne. Dvd disponible à la bibliothèque André Malraux à Saint-Brieuc.
 

Georges Cadiou. 1998. "La Grande Histoire du football en Bretagne".

Michel Lagrée, "La diffusion du football en Bretagne", Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 1994, pages 207-222. 

Stade Briochin, années 50. Photo sur le site du club

 


dimanche 11 août 2024

Les métamorphoses du Gouédic dans le quartier de Robien, dérivations, disparitions (busages)

 

Mystérieux Gouédic. Photo RF
 

 

Le Gouédic prend sa source à Ploufragan (où il est appelé La Prée), il longe le quartier de Robien et poursuit sa route vers le port du Légué... Jusqu'au port du Légué où il se jette dans le Gouët, il fait 11,5 km. Mais si on prend en compte tous ses petits affluents, son itinéraire total est de 38 km.

Le Gouédic marque la frontière naturelle du quartier de Robien au Sud et à l’Est.

Pour les rares habitants des siècles passés, juste au sud de Saint-Brieuc, la présence naturelle de l’eau, avec le ruisseau du Gouédic, va représenter un atout majeur. Sans rien y modifier, ils vont y puiser de l’eau pour différents travaux, amener les animaux pour se désaltérer, laver le linge au bord du ruisseau. Mais les choses ne vont pas en rester là...


Les métamorphoses du Gouédic

 

Au début du XXe siècle, la présence de l’eau dans le quartier de Robien n’est pas étrangère au développement d’industries qui en ont besoin, comme la minoterie Epivent puis l’usine Sambre-et-Meuse.

Le cours du Gouédic commence à se métamorphoser : on aménage des lavoirs, l’eau est puisée, une retenue d’eau est créée, Sambre-et-Meuse est autorisée à détourner le Gouédic, des remblais de terre et des travaux de busage sont effectués faisant petit à petit disparaître le ruisseau du paysage, les méandres sont rectifiés. Le ruisseau est sommé de couler en ligne droite et de rentrer dans les tuyaux prévus à cet effet !

Depuis une centaine d’années, les questions de l’entretien du Gouédic et de sa protection n’ont cessé d’être posées. C’est ce que nous allons voir avec les exemples qui suivent…

 

 

Prise d’eau 1911

 

Pour les besoins de sa minoterie industrielle installée au bout de la rue Jules Ferry, M.Epivent capte l’eau du Gouédic au niveau de ce qui est appelé « le ruisseau du Carpont ». Ces travaux ont été réalisés sans autorisation et le Préfet des Côtes-du-Nord s’en émeut officiellement par un courrier du 8 août 1911. La Commission Sanitaire du Canton midi de Saint-Brieuc est saisie du sujet. 

 

La minoterie industrielle de M. Epivent

Non seulement M.Epivent a établi une prise d’eau illégalement mais il y déverserait ses eaux usées ! La commission, après être venue sur place, rend son rapport au Préfet le 4 novembre 1911. Le ton est très favorable à l’industriel : « M.Epivent puise dans le ruisseau du Carpont, au moyen d’une pompe, l’eau nécessaire au fonctionnement d’un moteur à gaz pauvre ; cette eau est refoulée par une canalisation en plomb dans un réservoir placé à l’intérieur de l’usine ; les eaux après utilisation comme réfrigérant sont renvoyées dans le ruisseau par une autre canalisation en grès, ces eaux n’ont subi aucune souillure susceptible d’intéresser les membres de la Commission.  Ceux-ci n’ont pas qualité pour apprécier les droits de M.Epivent à puiser sans autorisation de l’eau dans le ruisseau, il restitue les eaux au point même où il les prend en égale quantité et en bordure de sa propriété

Le 18 novembre, un autre rapport allant dans le même sens, venant des Ponts et Chaussées, arrive sur le bureau du Préfet. Le subdivisionnaire rappelle que le volume d’eau puisé est « peu important » et que « la nature des eaux rendues au ruisseau après usage par l’usinier ne représente aucun danger pour la santé publique ». D’autre part une circulaire du Ministère de l’Agriculture indique qu’il n’est pas nécessaire de recourir à certaines réglementations contraignantes « lorsqu’une prise d’eau n’a pas pour effet de modifier sensiblement le débit d’un cours d’eau ».

 

Sur le plan ci-dessous du quartier de Robien aux alentours de 1875, nous voyons le cours du Gouédic tel qu'il sera évoqué dans cet article, du Pont du Carpont (aujourd'hui le bas de la rue Luzel) jusqu'au Pont de Brézillet (aujourd'hui le bas de la rue de Trégueux)

 

Plan archives municipales, vers 1875.

 

 

 

Nettoyage du Gouédic au niveau du Carpont. 1916-1919

 

Par un courrier du 28 juin 1916, M.Laguitton, négociant, signale que le ruisseau du Carpont « est encombré par des éboulements » et réclame qu’un arrêté soit pris d’urgence afin d’éviter que les eaux refluent dans sa prairie. Dans un premier temps, l’ingénieur des Ponts et Chaussées  a demandé aux deux riverains, M.Laguitton et le chef de section des chemins de fer de l’État de procéder à un curage et à un faucardage du ruisseau, ce qui a été fait, et les pierres et la terre ont été enlevées. Concernant l’entretien régulier du ruisseau, « il ne présente pas un caractère d’intérêt général » et  dépend des seuls riverains. C’est la réponse apportée à cette question par les Ponts et Chaussées le 14 juin…1919 !

 


 

Dérivation du cours du Gouédic et busage. 1927-1928

 

Par un courrier adressé au Préfet en décembre 1927, la Société anonyme des usines du Gouédic (autre nom de l’usine de M.Epivent) demande l’autorisation de dériver et de couvrir le ruisseau du Gouédic dans la parcelle qui traverse l’usine, « de permettre le remblaiement de la vallée abrupte du Gouédic ».

Une enquête d’utilité publique est ouverte au printemps 1928 et le 30 mai 1928, le Préfet autorise les travaux qui seront surveillés par l’ingénieur en chef du service hydraulique, M.Paul Augustin. C’est un aqueduc en béton armé qui sera construit, capable de permettre l’écoulement de toutes les crues, avec une pente de 2 cm par mètre. La hauteur de 3 m 20 permettra la visite de l’ouvrage. En Juin 1930 M.Epivent franchit une nouvelle étape et il est autorisé à construire un barrage réservoir sur le Gouédic en vue du refroidissement des appareils de condensation de son aciérie électrique (voir la deuxième partie de cet article, consacrée à l’étang de Robien).

 

Enquête 1927-1928. Archives départementales 84S 61

 

 

L'affaire du lavoir du Carpont. 1949

 

Le lavoir du Carpont est indiqué par une croix sur ce plan. Archives départementales 84S11

 

En 1949, le lavoir du Carpont a été le lieu d’un conflit entre des femmes du quartier de Robien et la S.N.C.F. Ces faits sont relatés dans le journal du Parti Communiste Français, L’Aube Nouvelle. Que s’est-il passé ?

Le journal explique que depuis 1947, l’état du lavoir du Carpont s’est beaucoup détérioré. La cause est semble-t-il due aux rejets de cambouis et d’eaux sales qui se déversent du dépôt S.N.C.F dans le Gouédic. Les fosses de décantation n’arrivent plus à « filtrer » les graisses, les huiles et le pétrole. Le résultat est simple pour les habituées du lavoir, « la moindre pièce de linge en ressort indétachable. »


Malgré les pétitions et les courriers, la situation était bloquée jusqu’au moment où « Le Comité de défense des laveuses du Carpont » a convoqué sur les lieux les maires et conseillers municipaux de Ploufragan et de St Brieuc ainsi que les chefs de dépôt et du district de la S.N.C.F.

Alors que toutes les femmes du Carpont sont rassemblées, au grand complet, Geneviève Thomas et Édouard Prigent (habitant de la rue de l'Ondine), du groupe communiste du Conseil municipal de St Brieuc, sont les seuls présents au jour convenu.

Des coups de téléphone sont échangés et le chef de district de la S.N.C.F accepte de recevoir une délégation composée d’une dizaine de laveuses et des deux conseillers.

L’ingénieur de la S.N.C.F. promet de remettre le lavoir en état et, dans la semaine, un technicien spécialisé dans ces questions est envoyé de Paris. Des décisions sont prises : le cours du Gouédic sera détourné, le lavoir sera alimenté par l’eau de la Ville, l’entretien du lavoir sera assuré par les services municipaux.

Le journal communiste termine son article dans une belle envolée révolutionnaire : « Lutter pour un lavoir, c’est lutter pour la Paix !! Ce que l’État refuse, le peuple doit l’imposer ! »

 

Plan 1949. Archives départementales 84 S 61

Plan du lavoir du Carpont 1949. Archives départementales 84 S 61

 
 

 

Paroles d’habitant, Claude Corack

 

« J'ai connu le lavoir avant le busage et après. On habitait sur le Tertre Marie Dondaine et ma mère lavait son linge à cet endroit. Il y avait souvent des histoires allant jusqu'au crêpage de chignon. Les mômes du tertre prenant partie, juchés sur le pont d'où on balançait des pierres pour éclabousser les lavandières. Le busage qui contournait le lavoir était conséquent, on y allait presque debout en reconnaissance. »

 

De ce lavoir qui existait toujours dans les années 1950, tout en bas de la rue Luzel, il ne reste rien. Maintenant tout est busé, mais l’eau continue de couler, elle file simplement sous la terre, en contre-bas de la rue Émile Zola !

 

Le cours du ruisseau busé ressort en contre-bas de la rue Émile Zola. Photo RF 2022

 

L'eau s'écoule en direction de l'Est. Photo RF 2022

 

Les suites administratives de l’affaire du lavoir du Carpont

 

Le 21 novembre 1949, un rapport de M.Etesse, l’ingénieur des Ponts et Chaussées, stipule qu’un accord a été trouvé entre la S.N.C.F et la municipalité de Ploufragan pour entretenir l’aqueduc de dérivation du ruisseau du Carpont, petit ruisseau qui se jetait dans le Gouédic, après être passé par le lavoir du Carpont et après avoir traversé les terrains de l'usine. Le lavoir est alimenté par de l’eau de la ville de St Brieuc mais la question de l’origine de la pollution n’est pas réglée… C’est le bassin de décantation utilisé dans le cadre des opérations de nettoyage des nombreuses machines du dépôt S.N.C.F qui pose toujours problème. Et cette affaire n’est pas nouvelle puisque le 21 août 1938, une délibération du conseil municipal de Ploufragan avait déjà protesté contre ces déversements. Les nombreux courriers échangés au fil des mois entre les différents interlocuteurs ne feront que souligner l’indispensable traitement de la cause de cette pollution.

Le 27 mars 1950, c’est autour de M. Coiscault, patron de l’usine Sambre-et-Meuse, de faire parvenir à l’ingénieur des Ponts et Chaussées une copie d’une lettre adressée à la S.N.C.F. Le patron de l’usine rappelle qu’une délégation du comité d’entreprise a rendu visite au chef de dépôt S.N.C.F et constate « une recrudescence des entrainements de mazout dans le bac en béton armé qui alimente les ateliers, après avoir été lui-même rempli par pompage direct dans l’étang »…Il poursuit en évoquant des dangers potentiels : « Nous ignorons d’ailleurs qu’elles peuvent être les conséquences lointaines ou immédiates de l’usage de cette eau dans les circuits de refroidissement de nos appareils et notamment dans notre four électrique et nos compresseurs de grande puissance ». 

La fin du courrier est très claire : "Nous regretterions de devoir vous rendre civilement responsable de tous accidents ou dommages qui pourraient résulter de cet état de choses…"

 

Courrier de l'usine Sambre-et-Meuse. 1950. Archives départementales

 

Le 7 avril 1950, le Préfet demande au Chef du service Voies et bâtiments de la S.N.C.F de Saint-Brieuc de lui faire parvenir les plans concernant les travaux de dérivation du Gouédic au lavoir du Carpont. Il demande également d’augmenter la surface du bassin de décantation utilisé dans le cadre des opérations de nettoyage des nombreuses machines du dépôt S.N.C.F. La situation semble avoir été résolue après ces derniers échanges.

 

 

 

Le déplacement du lit du Gouédic

 

Le 2 décembre 1959, le directeur de Sambre-et-Meuse écrit à l’ingénieur des Ponts et Chaussées, pour demander l’autorisation de dériver le ruisseau du Gouédic (appelé aussi du « Pas Jouha » dans ce courrier) qui fait un coude très prononcé dans la partie englobée par les terrains de l’usine. Le directeur fait observer que cela  « gêne considérablement l’extension future de l’usine en pleine évolution ».

L’ingénieur n’y est pas opposé mais il se montre très vigilant sur les modifications : « Le plan côté …montre qu’entre le point d’origine de la dérivation envisagée et celui situé à peu près au milieu de la dite dérivation, la pente du ruisseau sera inférieure à celle du ruisseau dans son lit actuel. » Et, petit rappel utile : « Le débit d’un cours d’eau, quel qu’il soit, est fonction à la fois de sa pente et de sa section ».

La prévention de tout danger est essentielle : « Il importe en effet d’éviter dans la mesure du possible, qu’en cas de fortes crues, la dérivation que vous envisagez de réaliser, aggrave le risque de submersion des terrains avoisinants entre le point de départ et le milieu de la dérivation. »

Dans son courrier du17 févier 1960, l’ingénieur des services hydrauliques valide les travaux envisagés avec les modifications apportées : « Les travaux prévus ne peuvent nuire au régime des eaux, les profils en travers de la dérivation projetée prévoyant un plus grand débouché pour les eaux qui s’écouleront dans le nouveau lit. De plus, le tracé du nouveau lit est acceptable. »

 

 

Un nouveau busage en 1968

 

Ruisseau du Carpont en contrebas de Sambre-et-Meuse. 1965. Musée de Bretagne

 

Quand on voit cette photo de 1965, on comprend pourquoi le petit ruisseau en contrebas de l'usine Sambre-et-Meuse peut se sentir menacé ! Il risque bientôt de disparaitre.Une solution va être trouvée mais le ruisseau deviendra invisible !

 

Pour permettre de continuer l’agrandissement et la modernisation de Sambre-et-Meuse, le 15 juillet 1968, le directeur de l’usine contacte le directeur de l’agriculture du département et le Préfet car il souhaite buser le ruisseau du Carpont pour combler cette partie de la vallée. 

Un premier tronçon est situé à l’intérieur des terrains de l’entreprise. Le busage prévu sera fait sensiblement en parallèle du lit du ruisseau avec des buses d’un diamètre intérieur d’un mètre quarante. Le directeur pense aussi nécessaire de créer dans la vallée une station de pompage destinée à remplacer celle de l’étang de Robien « dont l’état de vétusté est inquiétant ».

Le préfet accorde l’autorisation sans problème car il considère que le busage se fait entièrement dans la propriété de l’usine et n’est pas de nature à modifier le régime de l’écoulement des eaux.

 

Légende du plan. Busage en 1968. Archives départementales. 84 S11

Plan du busage projeté par Sambre-et-Meuse en 1968. Archives départementales. 84 S11

 

Plan du busage. 1968. Archives départementales. 84 S11



Plan du busage projeté par Sambre-et-Meuse en 1968. Archives départementales. 84 S11





D'autres tronçons transformés 

 

Entre le parking Pierre de Coubertin, en passant par le camping et jusqu'au passage sous la route de Trégueux, le Gouédic a subi bien des transformations là aussi...

Au niveau du camping des Vallées, un tracé beaucoup plus rectiligne a été donné et ses berges ne ressemblent plus à ce qu'elles étaient à l'origine.

 

Le Gouédic traversant le Camping. Photo RF

 

Au niveau de l'entrée du camping des Vallées (chemin du Petit pré), les méandres ont été supprimées, une petite prairie les a remplacées. Sur la photo ci-dessous, on distingue des bâtiments de ferme, appelés "ferme de Brézillet". Les eaux dérivées assurent l'irrigation des terres et constituent des points où les animaux vont s'abreuver.

Autrefois s'y trouvait un moulin (le Moulin de Brézillet) qui utilisait la force de l'eau du Gouédic. Dans les années 1930, ce moulin n'était déjà plus en fonction.


Le Gouédic aux abords de la ferme (ou moulin) de Brézillet. 1965. Musée de Bretagne


Le Gouédic aux abords de la ferme (ou moulin) de Brézillet. 1965. Musée de Bretagne


La prairie à la place des méandres. Photo aérienne Google

Une autre modification de taille est intervenue sur le cours du Gouédic, il s'agit de la création d'un étang artificiel. Mais ça c'est une autre histoire, et donc un autre article !



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Sources

 

Dossier 84 S 11 Usine de Gouédic 1927. Archives départementales

Dossier 84 S 11 Rapport des ingénieurs, autorisations 1928. Archives départementales

Dossier 84 S 58 Usine hydroélectrique de Saint-Barthélémy. 1918-1972. Archives départementales

Dossier 84 S 60 (3) Le Gouédic : curages, autorisations de constructions, détournements, dérivations, barrage Epivent.  Archives Départementales des Côtes d’Armor.

Dossier 84 S 61 (4) ruisseau du Carpont. St Brieuc et Ploufragan. Barrage Epivent. Busage du Carpont par usine Epivent. Archives Départementales des Côtes d’Armor.

Journal "L’Aube Nouvelle". L'affaire du lavoir du Carpont. 1949. Archives départementales en ligne

 

 

 

 

 

 

 

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