jeudi 5 septembre 2024

Le quartier de Robien à Saint-Brieuc et la guerre d'Indochine

 

A peine sortie de la Guerre 39-45, la France se retrouve engagée militairement en Indochine à partir de 1946. Le guerre durera jusqu'en 1954 pour les Français, avant d'être continuée par les américains jusqu'en 1975.

Des habitants du quartier de Robien ont fait cette guerre, certains y sont morts...

 

Cet article s'attache uniquement à retrouver, à l'aide de la presse locale de l'époque et de témoignages, comment les habitants du quartier ont pu être concernés par cette guerre.


 

Ceux de Robien revenus d’Indochine

 

Dans son roman Chino au Jardin, Christian Prigent évoque ces anciens d’Indochine, comme Jean Courtray, l’ex para ouvrant son album de photos souvenirs et racontant Dien-Bien-Phu au printemps 54. Des histoires qui impressionnent et marquent l’imaginaire d’un enfant… Les tunnels, les bambous, l’hévéa, les rizières, Saïgon, Bigeard...

Et qu’a-t-il rapporté ce voisin de cette expédition militaire ? « L’avis de décès de l’empire français, le coup de mou sous sa forme chronique […] ».


Après la guerre, les retours sont difficiles...

 


 

Le quartier de Robien touché par la mort de jeunes soldats en Indochine. 

 

Trois jeunes, ayant des attaches avec le quartier, ne reviendront pas vivants de cette guerre d'Indochine. Il s'agit de Jean Vigneron, Georges Allenic et Jean Strobel.

 


Jean Vigneron

Le décès de Jean Vigneron le 15 janvier 1947 est annoncé tardivement dans l'édition de Ouest-France du 4 mars 1947. 

 

Jean Vigneron O.F 1950

 

Jean Vigneron est né le 28 mars 1925 à Paris. Il est le fils de François Vigneron (président du comité des Fêtes de Robien en 1949) et de Jeanne Thuret, domiciliés 10 rue Louis Blanc dans le quartier de Robien à Saint-Brieuc. 

Jean Vigneron était titulaire de la Croix de guerre et avait été proposé pour la médaille militaire.

Jean Vigneron était engagé en Indochine avec le 4e Régiment de Marche du Tchad (4e RMT) déployé en Indochine de 1945 à 1947.

Insigne du RMT


Une messe d'enterrement est célébrée en mars 1947 par l'abbé Vincent, assisté des abbés Carlo et Quéro, en l'église de Robien, à la mémoire du caporal-chef Jean Vigneron, tué par balle à Hanoï dans sa vingt-et-unième année.

 

"Des drapeaux de l'Union Nationale des Combattants et des prisonniers de guerre 39-40 rendaient les honneurs autour du catafalque".


4 mars 1947 Ouest-France

 

Ce n'est qu'en mars 1950 que la dépouille mortelle de Jean Vigneron est rapatriée d'Indochine. Une cérémonie religieuse se déroule à l'église Sainte-Anne-de-Robien le 6 mars 1950 avant l'inhumation au cimetière Saint-Michel. Un détachement de l'armée rend les honneurs, sous les ordres d'un ancien camarade de Jean Vigneron au 4e R.M.T, le sergent-chef Corlay.

 

 

Robert Guillermic
 

Robert Guillermic est né le 19 juin 1923 à Pontivy, dans le Morbihan.
En mai 1951, une cérémonie funèbre se déroule en l'église Sainte-Anne-de-Robien à la mémoire du sergent-chef Robert Guillermic, mort pour la France auprès de la ville de Hué au Vietnam, le 12 avril 1951, il avait 27 ans. Il combattait au sein du 21e Régiment d’Infanterie coloniale (21e RIC) et fut tué par l’explosion d’une mine.

Insigne du 21e RIC

Dans son édition du 2 mai 1951, Ouest-France rappelle l’engagement de Robert Guillermic comme résistant : « Guillermic avait en somme la vocation de l’héroïsme et du sacrifice puisque, après avoir accompli brillamment son devoir pendant la Résistance dans le maquis de Josselin et de Saint-Marcel (Morbihan), il est allé au devant d’une mort glorieuse sur la terre indochinoise ».
L’absoute a été donnée par l’abbé Lemordan, recteur de la paroisse, « devant une foule considérable. Ce fut un émouvant hommage en souvenir du disparu et un témoignage de sympathie et d’estime unanimes à l’adresse de la famille. » De nombreuses personnalités assistaient à la cérémonie.

 


Sources : Service historique de la Défense, Vincennes GR 16 P 278826 (Résistance), base des morts pour la France en Indochine, Fiche Généafrance ici, Ouest-France 2 mai 1951.

 

Georges Allenic

En octobre 1954, un service solennel est célébré en l'église de Robien à la mémoire du sergent Georges Allenic, fils de M. Allenic, président des gendarmes retraités.

Georges Allenic était né le 11 mai 1931 à Thiron (Eure-et-Loir). Il est le fils de Lucien Allenic, gendarme, et de Marguerite Lhermenier, domiciliés 76 rue Jules Ferry à Saint-Brieuc

 

Lucien Allenic. Photo Hervé Bertrand


Georges est attiré par l'armée et à 18 ans, il rentre au centre de perfectionnement de l’École Militaire préparatoire d'Autun. Il rejoint le 7e Régiment de Tirailleurs Algériens (7e RTA). A 21 ans, il est volontaire pour l'Indochine où il est blessé en opération. 

Le 15 décembre 1953, son régiment est désigné pour aller sur Dien-Bien-Phu. pour son courage au combat, la Médaille militaire lui est attribuée. Le 7 mai 1954, il s'évade après la chute du camp retranché de Dien-Bien-Phu mais, huit jours plus tard, il est repris et fait prisonnier. Il fait partie d'un groupe de prisonniers qui, pendant trois mois, se dirigent vers la Chine. Après 700 kilomètres de marche, dans des conditions éprouvantes, il arrive dans le nord du Tonkin, au Camp 42, où il décède.

Officiellement, il est mentionné que Georges Allenic est décédé en Indochine "des suites d'une maladie contractée en captivité à Dien-Bien-Phu".

 

Le fanion de la Légion Étrangère rendait les honneurs. De nombreuses personnalités civiles, militaires et religieuses étaient présentes. On notait aussi une délégation des enfants de l'école des religieuses.

 

Le sergent Georges Allenic


Pour honorer sa mémoire, il est choisi comme parrain de la 125e Promotion de l’École nationale des Sous-officiers de Saint-Maixent (6/10/1987- 11/04/1988). Un insigne a été confectionné à cette occasion.

 

Insigne de la 125e promotion St Maixent



16 octobre 1954. Ouest-France




Jean Strobel

Au cours du service à la mémoire du sergent-chef Allenic, le recteur de la paroisse de Robien annonce que le sergent Jean Strobel est mort en captivité au mois de juillet 1954 à Dien-Bien-Phu en Indochine.

Jean Strobel est né le 13 avril 1929 à La Courneuve (75). Il était engagé avec son régiment le  

 

Diaporama à retrouver sur le site de l'amicale du 8e BCP (ici)
 

 

Le 8e BPC participe à l'Opération Castor en novembre 1953, prélude à la bataille de Dien-Bien Phu qui sera déclenchée le 13 mars 1954. Le 7 mai les troupes se rendent et presque tous les membres du régiment décèderont en captivité.

Insigne 8e BCP

Jean Strobel est le gendre de Mme Chauvin qui habite au 51 de la rue Jules Ferry. Le sergent Strobel, alors caporal-chef au 1er B.C.C.P à Charner avait épousé Éliane Chauvin, de Robien en juin 1952 et était parti un mois après en Indochine.


 
16 octobre 1954. Ouest-France


En septembre 1948, le décès d'un autre jeune homme va toucher le quartier de Robien. Il s'agit de Damien Joaquin, de la Ville Ginglin, fils de M. Auguste Joaquin, contremaitre à l'entreprise de bâtiment Rideau du quartier de Robien. Damien Joaquin était sergent-aviateur mécanicien. Il devait venir en permission pour se fiancer à Saint-Brieuc.

 

 

Saint-Brieuc et la Guerre d'Indochine

 

28 juin 1952 Ouest-France
 

Au mois de juin 1952, le bataillon des parachutistes, basé à la caserne Charner, est sur le point de partir en Indochine. M. de Chevigné, secrétaire d’État à la Guerre, passe les troupes en revue accompagné des officiers d'Etat Major, avant de repartir l'après-midi à Paris en avion.

Le bataillon de parachutistes est placé sous les ordres du commandant Bigeard.

La présence de Marcel Bigeard à Saint-Brieuc n'est pas un fait très connu. Pourtant, Marcel Bigeard est affecté le 1er février 1948 au 3e bataillon colonial de commandos parachutistes, sous les ordres du commandant Ayrolles, à Saint-Brieuc. Il prend le commandement du groupement de commandos parachutistes n° 2.

Après des campagnes en Indochine de novembre 48 à novembre 1950 au printemps 1951 et un passage à Vannes, M. Bigeard,  il revient à Saint-Brieuc en septembre 1951, comme Commandant puis Chef de bataillon en janvier 1952 à la tête du 6e Bataillon de Parachutistes Coloniaux (B.P.C).

M. Bigeard débarque à Haïphong à la tête du 6e B.P.C, le 28 juillet 1952, pour son troisième séjour en Indochine où il restera jusqu'au 25 septembre 1954, après quatre mois de détention suite à la chute du camp de Dien-Bien-Phu.

 

 

Défilé des troupes à la caserne Charner. Saint-Brieuc 28 juin 1952 Ouest-France

De nos jours, sur l'Esplanade Georges Pompidou à Saint-Brieuc, à l'emplacement de l'ancienne Caserne Charner, on trouve une stèle à la mémoire des bataillons de parachutistes basés à Saint-Brieuc.


Esplanade Georges Pompidou. Photo RF 2022

 

En Mai 1956, une cérémonie patriotique se déroule à Saint-Brieuc " A la mémoire de ceux de Dien-Bien-Phu".

 

7 mai 1956. Ouest-France
 

Un office religieux est célébré en l'église Saint-Michel à la mémoire des anciens de la Légion étrangère et de Dien-Bien-Phu. La messe est dite par le chanoine Auffray, curé de la paroisse, accompagné de l'abbé Levitaux, du Révérend-Père Radenac, ancien missionnaire en Chine et de la chorale Saint-Michel. A l'issue de la cérémonie, les autorités civiles et militaires se rendent sur les tombes des soldats inhumés au cimetière Saint-Michel.
 

 

Dans le quartier de Robien, d'autres voix se font entendre au moment de la guerre d'Indochine, il s'agit de celles des militants communistes qui critiquent l'engagement de la France.

C'est ce que nous allons voir dans cette deuxième partie.

 

 

Les opposants à la Guerre d'Indochine.

"Le Pont Henri Martin"


Le Parti communiste était très actif dans le quartier de Robien après la Seconde guerre mondiale. Son opposition à la guerre en Indochine s'est manifestée très tôt.

Le quartier de Robien en garde une trace que l'on peut découvrir sur le pont qui passe au-dessus de la route, dans le bas de la rue Luzel.

Vers 1965, Francine Gicquel reprend le bistrot au 65 rue Luzel, un peu après le petit pont de chemin de fer qui passe au dessus de la route. Roger Gicquel, le fils de la maison se souvient : "Quand les gens parlaient du bar de mes parents, on disait "Le bar des deux Ponts" et au début des années 50 sur le pont, c'était écrit avec du goudron "Pont Henri Martin" du nom d'un militant communiste, opposé à la Guerre d'Indochine".

Il faut croire que la peinture était d'excellente qualité car on voit encore ces inscriptions peintes en rouge des deux côtés du pont !

 

Dans le bas de la rue Luzel à Saint-Brieuc. Photo RF

 


 

Les combattants de la liberté. 1950

 

Une autre affaire concerne des habitants du quartier de Robien, il s'agit de la manifestation qui est organisée en gare de Saint-Brieuc le 11 mai 1950 pour s’opposer au départ d'un train de messageries, transportant trois canons du cuirassé Richelieu en partance pour la Guerre d'Indochine.

Deux cent personnes participent à l’action mais une dizaine est identifiée sur le moment par le commissaire de police. Dans ce groupe figure Jean Le Bars, un habitant de Robien, militant communiste et syndicaliste chez les cheminots. Il est le deuxième personnage sur la gauche de la photo, avec un long manteau, il était amputé de la jambe droite. (voir ci-dessous).


Les douze inculpés sont accusés d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État.

Ils sont arrêtés puis dix sont transférés à Paris et internés au Cherche-Midi pendant plusieurs mois. 

Emprisonné à la prison du Cherche-Midi comme neuf autres camarades dont trois femmes, Jean Le Bars est hospitalisé en novembre 1950 à l’hôpital central de Fresnes, puis remis en liberté provisoire, le 30 novembre 1950. 

 

En parallèle, la solidarité s'organise et l'affaire des combattants de la Paix a un certain retentissement sur le plan national. 

Les familles des emprisonnés de Saint-Brieuc sont invitées à la Fête de l'Humanité en 1950. Elles posent en photo sous un portrait géant de Staline...


L'Aube nouvelle. Archives départementales en ligne. JP 152

Les « Dix combattants de la paix de Saint-Brieuc » sont accueillis en héros à Saint-Brieuc les 3 et 5 décembre. 

 

Le procès commence le 22 janvier 1951 et le 26 janvier, le journal Ouest-France titre en première page sur ce procès.

 

26 janvier 1951 Ouest-France

 

Le journal développe un long compte-rendu dont voici des extraits :

 

"Lors du procès, successivement le président interroge les autres inculpés et pose à peu près les mêmes questions : «Avez-vous obéi à un mot d ’ordre ? ». « Vous êtes-vous intentionnellement placé devant la locomotive? ». « Avez-vous constaté des sabotages sur le convoi ? ». « Avez-vous chanté la Marseillaise ? ».

A toutes ces questions, les inculpés briochins répondent qu'ils ont eu simplement, spontanément, l’intention de manifester contre la guerre.

Les avocats de la défense insistent sur le fait que les manifestants ne pouvaient s’opposer à la marche du train puisque celui-ci devait stationner en gare de Saint-Brieuc plus d'une heure lorsque la manifestation a éclaté.

 

Seul Jean Le Bars reconnaît avoir désiré retarder le départ du train.

Les inculpés estiment que s'ils ont été les seuls arrêtés sur environ 200 manifestants, c’est en raison de leur appartenance à des «partis démocratiques » ou de leurs fonctions dans les syndicats.

M. Lejeune, résistant notoire et secrétaire de la Fédération départementale du Parti communiste, n’a pas été arrêté en même temps que ses camarades. Il se présente spontanément, devant le tribunal. Il déclare que, bien que recherché par la police, il ne s'est pas rendu à ses convocations pour demeurer libre et essayer de faire libérer ses compagnons".

 

28 janvier 1951. La Champagne, journal du PCF. .

 

Finalement, après un procès qui durera du 22 janvier au 4 février 1951, ces militants seront relaxés

 

 

Si vous avez des éléments pour compléter cet article  (photos, témoignages...) merci d'utiliser le formulaire de contact en haut à droite.

 

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Sources

 

Site Mémoire des Hommes, Jean Vigneron, cliquer ici

 

Article Wikipédia sur le 4e Régiment de Marche du Tchad (4e RMT) dans lequel servait Jean Vigneron, cliquer ici.

 

MémorialGenweb, Jean Vigneron, cliquer ici 

 

Site Mémoire des Hommes, Georges Allenic, cliquer ici

 

Site Généanet, Georges Allenic, fiche de Hervé Bertrand (avec photo de Lucien Allenic), cliquer ici

 

MémorialGenweb, Georges Allenic, ici 

 

Site Mémoire des Hommes, Jean Strobel, cliquer ici

 

Histoire de l'amicale du

 

Ouest-France, 4 mars 1947, 6 mars 1950 (Vigneron), 16 octobre 1954. 


Chino au Jardin, Christian Prigent, éditions P.O.L 2021


L'histoire du Parti Communiste à Robien, cliquer ici

Correspondance en septembre 2024 avec Dominique Soufflet pour l'identification  de Jean Le Bars sur la photo, une physionomie proche de la personne qu'il voyait passer deux fois par jour devant la maison de ses parents rue François Villon. 

 

 



dimanche 11 août 2024

Les métamorphoses du Gouédic dans le quartier de Robien, dérivations, disparitions (busages)

 

Mystérieux Gouédic. Photo RF
 

 

Le Gouédic prend sa source à Ploufragan (où il est appelé La Prée), il longe le quartier de Robien et poursuit sa route vers le port du Légué... Jusqu'au port du Légué où il se jette dans le Gouët, il fait 11,5 km. Mais si on prend en compte tous ses petits affluents, son itinéraire total est de 38 km.

Le Gouédic marque la frontière naturelle du quartier de Robien au Sud et à l’Est.

Pour les rares habitants des siècles passés, juste au sud de Saint-Brieuc, la présence naturelle de l’eau, avec le ruisseau du Gouédic, va représenter un atout majeur. Sans rien y modifier, ils vont y puiser de l’eau pour différents travaux, amener les animaux pour se désaltérer, laver le linge au bord du ruisseau. Mais les choses ne vont pas en rester là...


Les métamorphoses du Gouédic

 

Au début du XXe siècle, la présence de l’eau dans le quartier de Robien n’est pas étrangère au développement d’industries qui en ont besoin, comme la minoterie Epivent puis l’usine Sambre-et-Meuse.

Le cours du Gouédic commence à se métamorphoser : on aménage des lavoirs, l’eau est puisée, une retenue d’eau est créée, Sambre-et-Meuse est autorisée à détourner le Gouédic, des remblais de terre et des travaux de busage sont effectués faisant petit à petit disparaître le ruisseau du paysage, les méandres sont rectifiés. Le ruisseau est sommé de couler en ligne droite et de rentrer dans les tuyaux prévus à cet effet !

Depuis une centaine d’années, les questions de l’entretien du Gouédic et de sa protection n’ont cessé d’être posées. C’est ce que nous allons voir avec les exemples qui suivent…

 

 

Prise d’eau 1911

 

Pour les besoins de sa minoterie industrielle installée au bout de la rue Jules Ferry, M.Epivent capte l’eau du Gouédic au niveau de ce qui est appelé « le ruisseau du Carpont ». Ces travaux ont été réalisés sans autorisation et le Préfet des Côtes-du-Nord s’en émeut officiellement par un courrier du 8 août 1911. La Commission Sanitaire du Canton midi de Saint-Brieuc est saisie du sujet. 

 

La minoterie industrielle de M. Epivent

Non seulement M.Epivent a établi une prise d’eau illégalement mais il y déverserait ses eaux usées ! La commission, après être venue sur place, rend son rapport au Préfet le 4 novembre 1911. Le ton est très favorable à l’industriel : « M.Epivent puise dans le ruisseau du Carpont, au moyen d’une pompe, l’eau nécessaire au fonctionnement d’un moteur à gaz pauvre ; cette eau est refoulée par une canalisation en plomb dans un réservoir placé à l’intérieur de l’usine ; les eaux après utilisation comme réfrigérant sont renvoyées dans le ruisseau par une autre canalisation en grès, ces eaux n’ont subi aucune souillure susceptible d’intéresser les membres de la Commission.  Ceux-ci n’ont pas qualité pour apprécier les droits de M.Epivent à puiser sans autorisation de l’eau dans le ruisseau, il restitue les eaux au point même où il les prend en égale quantité et en bordure de sa propriété

Le 18 novembre, un autre rapport allant dans le même sens, venant des Ponts et Chaussées, arrive sur le bureau du Préfet. Le subdivisionnaire rappelle que le volume d’eau puisé est « peu important » et que « la nature des eaux rendues au ruisseau après usage par l’usinier ne représente aucun danger pour la santé publique ». D’autre part une circulaire du Ministère de l’Agriculture indique qu’il n’est pas nécessaire de recourir à certaines réglementations contraignantes « lorsqu’une prise d’eau n’a pas pour effet de modifier sensiblement le débit d’un cours d’eau ».

 

Sur le plan ci-dessous du quartier de Robien aux alentours de 1875, nous voyons le cours du Gouédic tel qu'il sera évoqué dans cet article, du Pont du Carpont (aujourd'hui le bas de la rue Luzel) jusqu'au Pont de Brézillet (aujourd'hui le bas de la rue de Trégueux)

 

Plan archives municipales, vers 1875.

 

 

 

Nettoyage du Gouédic au niveau du Carpont. 1916-1919

 

Par un courrier du 28 juin 1916, M.Laguitton, négociant, signale que le ruisseau du Carpont « est encombré par des éboulements » et réclame qu’un arrêté soit pris d’urgence afin d’éviter que les eaux refluent dans sa prairie. Dans un premier temps, l’ingénieur des Ponts et Chaussées  a demandé aux deux riverains, M.Laguitton et le chef de section des chemins de fer de l’État de procéder à un curage et à un faucardage du ruisseau, ce qui a été fait, et les pierres et la terre ont été enlevées. Concernant l’entretien régulier du ruisseau, « il ne présente pas un caractère d’intérêt général » et  dépend des seuls riverains. C’est la réponse apportée à cette question par les Ponts et Chaussées le 14 juin…1919 !

 


 

Dérivation du cours du Gouédic et busage. 1927-1928

 

Par un courrier adressé au Préfet en décembre 1927, la Société anonyme des usines du Gouédic (autre nom de l’usine de M.Epivent) demande l’autorisation de dériver et de couvrir le ruisseau du Gouédic dans la parcelle qui traverse l’usine, « de permettre le remblaiement de la vallée abrupte du Gouédic ».

Une enquête d’utilité publique est ouverte au printemps 1928 et le 30 mai 1928, le Préfet autorise les travaux qui seront surveillés par l’ingénieur en chef du service hydraulique, M.Paul Augustin. C’est un aqueduc en béton armé qui sera construit, capable de permettre l’écoulement de toutes les crues, avec une pente de 2 cm par mètre. La hauteur de 3 m 20 permettra la visite de l’ouvrage. En Juin 1930 M.Epivent franchit une nouvelle étape et il est autorisé à construire un barrage réservoir sur le Gouédic en vue du refroidissement des appareils de condensation de son aciérie électrique (voir la deuxième partie de cet article, consacrée à l’étang de Robien).

 

Enquête 1927-1928. Archives départementales 84S 61

 

 

L'affaire du lavoir du Carpont. 1949

 

Le lavoir du Carpont est indiqué par une croix sur ce plan. Archives départementales 84S11

 

En 1949, le lavoir du Carpont a été le lieu d’un conflit entre des femmes du quartier de Robien et la S.N.C.F. Ces faits sont relatés dans le journal du Parti Communiste Français, L’Aube Nouvelle. Que s’est-il passé ?

Le journal explique que depuis 1947, l’état du lavoir du Carpont s’est beaucoup détérioré. La cause est semble-t-il due aux rejets de cambouis et d’eaux sales qui se déversent du dépôt S.N.C.F dans le Gouédic. Les fosses de décantation n’arrivent plus à « filtrer » les graisses, les huiles et le pétrole. Le résultat est simple pour les habituées du lavoir, « la moindre pièce de linge en ressort indétachable. »


Malgré les pétitions et les courriers, la situation était bloquée jusqu’au moment où « Le Comité de défense des laveuses du Carpont » a convoqué sur les lieux les maires et conseillers municipaux de Ploufragan et de St Brieuc ainsi que les chefs de dépôt et du district de la S.N.C.F.

Alors que toutes les femmes du Carpont sont rassemblées, au grand complet, Geneviève Thomas et Édouard Prigent (habitant de la rue de l'Ondine), du groupe communiste du Conseil municipal de St Brieuc, sont les seuls présents au jour convenu.

Des coups de téléphone sont échangés et le chef de district de la S.N.C.F accepte de recevoir une délégation composée d’une dizaine de laveuses et des deux conseillers.

L’ingénieur de la S.N.C.F. promet de remettre le lavoir en état et, dans la semaine, un technicien spécialisé dans ces questions est envoyé de Paris. Des décisions sont prises : le cours du Gouédic sera détourné, le lavoir sera alimenté par l’eau de la Ville, l’entretien du lavoir sera assuré par les services municipaux.

Le journal communiste termine son article dans une belle envolée révolutionnaire : « Lutter pour un lavoir, c’est lutter pour la Paix !! Ce que l’État refuse, le peuple doit l’imposer ! »

 

Plan 1949. Archives départementales 84 S 61

Plan du lavoir du Carpont 1949. Archives départementales 84 S 61

 
 

 

Paroles d’habitant, Claude Corack

 

« J'ai connu le lavoir avant le busage et après. On habitait sur le Tertre Marie Dondaine et ma mère lavait son linge à cet endroit. Il y avait souvent des histoires allant jusqu'au crêpage de chignon. Les mômes du tertre prenant partie, juchés sur le pont d'où on balançait des pierres pour éclabousser les lavandières. Le busage qui contournait le lavoir était conséquent, on y allait presque debout en reconnaissance. »

 

De ce lavoir qui existait toujours dans les années 1950, tout en bas de la rue Luzel, il ne reste rien. Maintenant tout est busé, mais l’eau continue de couler, elle file simplement sous la terre, en contre-bas de la rue Émile Zola !

 

Le cours du ruisseau busé ressort en contre-bas de la rue Émile Zola. Photo RF 2022

 

L'eau s'écoule en direction de l'Est. Photo RF 2022

 

Les suites administratives de l’affaire du lavoir du Carpont

 

Le 21 novembre 1949, un rapport de M.Etesse, l’ingénieur des Ponts et Chaussées, stipule qu’un accord a été trouvé entre la S.N.C.F et la municipalité de Ploufragan pour entretenir l’aqueduc de dérivation du ruisseau du Carpont, petit ruisseau qui se jetait dans le Gouédic, après être passé par le lavoir du Carpont et après avoir traversé les terrains de l'usine. Le lavoir est alimenté par de l’eau de la ville de St Brieuc mais la question de l’origine de la pollution n’est pas réglée… C’est le bassin de décantation utilisé dans le cadre des opérations de nettoyage des nombreuses machines du dépôt S.N.C.F qui pose toujours problème. Et cette affaire n’est pas nouvelle puisque le 21 août 1938, une délibération du conseil municipal de Ploufragan avait déjà protesté contre ces déversements. Les nombreux courriers échangés au fil des mois entre les différents interlocuteurs ne feront que souligner l’indispensable traitement de la cause de cette pollution.

Le 27 mars 1950, c’est autour de M. Coiscault, patron de l’usine Sambre-et-Meuse, de faire parvenir à l’ingénieur des Ponts et Chaussées une copie d’une lettre adressée à la S.N.C.F. Le patron de l’usine rappelle qu’une délégation du comité d’entreprise a rendu visite au chef de dépôt S.N.C.F et constate « une recrudescence des entrainements de mazout dans le bac en béton armé qui alimente les ateliers, après avoir été lui-même rempli par pompage direct dans l’étang »…Il poursuit en évoquant des dangers potentiels : « Nous ignorons d’ailleurs qu’elles peuvent être les conséquences lointaines ou immédiates de l’usage de cette eau dans les circuits de refroidissement de nos appareils et notamment dans notre four électrique et nos compresseurs de grande puissance ». 

La fin du courrier est très claire : "Nous regretterions de devoir vous rendre civilement responsable de tous accidents ou dommages qui pourraient résulter de cet état de choses…"

 

Courrier de l'usine Sambre-et-Meuse. 1950. Archives départementales

 

Le 7 avril 1950, le Préfet demande au Chef du service Voies et bâtiments de la S.N.C.F de Saint-Brieuc de lui faire parvenir les plans concernant les travaux de dérivation du Gouédic au lavoir du Carpont. Il demande également d’augmenter la surface du bassin de décantation utilisé dans le cadre des opérations de nettoyage des nombreuses machines du dépôt S.N.C.F. La situation semble avoir été résolue après ces derniers échanges.

 

 

 

Le déplacement du lit du Gouédic

 

Le 2 décembre 1959, le directeur de Sambre-et-Meuse écrit à l’ingénieur des Ponts et Chaussées, pour demander l’autorisation de dériver le ruisseau du Gouédic (appelé aussi du « Pas Jouha » dans ce courrier) qui fait un coude très prononcé dans la partie englobée par les terrains de l’usine. Le directeur fait observer que cela  « gêne considérablement l’extension future de l’usine en pleine évolution ».

L’ingénieur n’y est pas opposé mais il se montre très vigilant sur les modifications : « Le plan côté …montre qu’entre le point d’origine de la dérivation envisagée et celui situé à peu près au milieu de la dite dérivation, la pente du ruisseau sera inférieure à celle du ruisseau dans son lit actuel. » Et, petit rappel utile : « Le débit d’un cours d’eau, quel qu’il soit, est fonction à la fois de sa pente et de sa section ».

La prévention de tout danger est essentielle : « Il importe en effet d’éviter dans la mesure du possible, qu’en cas de fortes crues, la dérivation que vous envisagez de réaliser, aggrave le risque de submersion des terrains avoisinants entre le point de départ et le milieu de la dérivation. »

Dans son courrier du17 févier 1960, l’ingénieur des services hydrauliques valide les travaux envisagés avec les modifications apportées : « Les travaux prévus ne peuvent nuire au régime des eaux, les profils en travers de la dérivation projetée prévoyant un plus grand débouché pour les eaux qui s’écouleront dans le nouveau lit. De plus, le tracé du nouveau lit est acceptable. »

 

 

Un nouveau busage en 1968

 

Ruisseau du Carpont en contrebas de Sambre-et-Meuse. 1965. Musée de Bretagne

 

Quand on voit cette photo de 1965, on comprend pourquoi le petit ruisseau en contrebas de l'usine Sambre-et-Meuse peut se sentir menacé ! Il risque bientôt de disparaitre.Une solution va être trouvée mais le ruisseau deviendra invisible !

 

Pour permettre de continuer l’agrandissement et la modernisation de Sambre-et-Meuse, le 15 juillet 1968, le directeur de l’usine contacte le directeur de l’agriculture du département et le Préfet car il souhaite buser le ruisseau du Carpont pour combler cette partie de la vallée. 

Un premier tronçon est situé à l’intérieur des terrains de l’entreprise. Le busage prévu sera fait sensiblement en parallèle du lit du ruisseau avec des buses d’un diamètre intérieur d’un mètre quarante. Le directeur pense aussi nécessaire de créer dans la vallée une station de pompage destinée à remplacer celle de l’étang de Robien « dont l’état de vétusté est inquiétant ».

Le préfet accorde l’autorisation sans problème car il considère que le busage se fait entièrement dans la propriété de l’usine et n’est pas de nature à modifier le régime de l’écoulement des eaux.

 

Légende du plan. Busage en 1968. Archives départementales. 84 S11

Plan du busage projeté par Sambre-et-Meuse en 1968. Archives départementales. 84 S11

 

Plan du busage. 1968. Archives départementales. 84 S11



Plan du busage projeté par Sambre-et-Meuse en 1968. Archives départementales. 84 S11





D'autres tronçons transformés 

 

Entre le parking Pierre de Coubertin, en passant par le camping et jusqu'au passage sous la route de Trégueux, le Gouédic a subi bien des transformations là aussi...

Au niveau du camping des Vallées, un tracé beaucoup plus rectiligne a été donné et ses berges ne ressemblent plus à ce qu'elles étaient à l'origine.

 

Le Gouédic traversant le Camping. Photo RF

 

Au niveau de l'entrée du camping des Vallées (chemin du Petit pré), les méandres ont été supprimées, une petite prairie les a remplacées. Sur la photo ci-dessous, on distingue des bâtiments de ferme, appelés "ferme de Brézillet". Les eaux dérivées assurent l'irrigation des terres et constituent des points où les animaux vont s'abreuver.

Autrefois s'y trouvait un moulin (le Moulin de Brézillet) qui utilisait la force de l'eau du Gouédic. Dans les années 1930, ce moulin n'était déjà plus en fonction.


Le Gouédic aux abords de la ferme (ou moulin) de Brézillet. 1965. Musée de Bretagne


Le Gouédic aux abords de la ferme (ou moulin) de Brézillet. 1965. Musée de Bretagne


La prairie à la place des méandres. Photo aérienne Google

Une autre modification de taille est intervenue sur le cours du Gouédic, il s'agit de la création d'un étang artificiel. Mais ça c'est une autre histoire, et donc un autre article !



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Sources

 

Dossier 84 S 11 Usine de Gouédic 1927. Archives départementales

Dossier 84 S 11 Rapport des ingénieurs, autorisations 1928. Archives départementales

Dossier 84 S 58 Usine hydroélectrique de Saint-Barthélémy. 1918-1972. Archives départementales

Dossier 84 S 60 (3) Le Gouédic : curages, autorisations de constructions, détournements, dérivations, barrage Epivent.  Archives Départementales des Côtes d’Armor.

Dossier 84 S 61 (4) ruisseau du Carpont. St Brieuc et Ploufragan. Barrage Epivent. Busage du Carpont par usine Epivent. Archives Départementales des Côtes d’Armor.

Journal "L’Aube Nouvelle". L'affaire du lavoir du Carpont. 1949. Archives départementales en ligne

 

 

 

 

 

 

 

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