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Jean Thomas est un marchand en gros de chiffons, installé dans le quartier de Robien, un peu avant 1920, au 14 rue Jules Ferry. A cet emplacement se trouvent différents bâtiments au fond d’une cour pavée. La Société Économique de Rennes y occupe d’autres bâtiments. Cette société a pris la suite des établissements Nicolas (négociants en vin).
L'entrée du 14 rue Jules Ferry sur la gauche de la photo |
M. Jean Thomas s’occupait de la récupération, du triage et de la fourniture aux industries susceptibles de les utiliser, des chiffons, cordages, peaux, métaux, crins bruts, soies de porc, caoutchouc, os et déchets de toutes sortes.
La famille de Jean Thomas
Jean Mathurin Thomas est né le 16 mai 1887 à Lanfains (22). Il est le fils de feu Jean Marie et de Marie Louise Bresset, exerçant alors la profession de chiffonnière à Lanfains.
Il se marie le 6 juillet 1912 à Dourdan avec Thérèse Victoire Marceau (née à Dourdan en 1891). Ils ont eu un fils Albert, né à Alençon en 1913 et une fille, Marie, née à Saint-Brieuc en 1920.
Un second mariage a été contracté à Saint-Brieuc le 22 octobre 1938 avec Marcelle Berthier.
Les débuts de Jean Thomas comme chiffonnier
Les débuts de M. Thomas dans le métier sont racontés par un journaliste de L’illustration économique et Financière :
« M.Thomas s’installa à Saint-Brieuc en 1918, riche de l’expérience qu’il avait acquise, tant à Paris qu’en Normandie avant la guerre. En peu de temps, il sut imposer sur les places étrangères la qualité de la marque T.M dont il avait fait choix. Bientôt ses ateliers du Boulevard Carnot apparurent insuffisants et il en fit édifier d’autres au Légué. Esprit pratique s’il en est, M. Thomas dressa lui-même ses plans, harmonisant ingénieusement la disposition de ses bâtiments avec celle des lieux et dirigea la construction de son outillage. On peut dire que ses installations sont modèles et que l’effort de chacun est réduit au minimum ».
Le portrait est élogieux !
Chargement des ballots de chiffons dans un camion au Légué. L'illustration 1926 |
La suite de l’article décrit les procédés utilisés par les équipes de M. Thomas au Légué pour parvenir à la plus grande efficacité. Nul doute que les mêmes méthodes devaient être employées dans son atelier du quartier Robien : soin extrême apporté à la différenciation des catégories de chiffons, presse des chiffons triés pour constituer des balles chargées plus tard dans des camions, trains ou bateaux.
En 1926, la production annuelle de M.Thomas atteint les 10 000 tonnes en tenant compte des ferrailles et il emploie 200 ouvrières dont les plus jeunes sont formées au métier à partir de 13 ans.
La récupération, un secteur important de l’économie à Saint-Brieuc
En s’installant à Saint-Brieuc, Jean Thomas s’est inscrit dans une longue tradition de chiffonniers locaux. Les plus célèbres étaient la famille Presle.
Les établissements Presle de St Brieuc comptaient parmi les plus importants dans ce domaine dans l’hexagone et leur rayon d’action s’étendait dans tout l’Ouest de la France.
Ils furent fondés en 1858 par Auguste Gontrand, auquel succéda Presle et Gontrand. Ensuite Eugène Presle fonda les Établissements Presle et les confia plus tard à ses deux fils Émile et Louis. Les établissements comportaient de vastes magasins et ateliers à Saint-Brieuc, Vannes, Quimper, Dinan et Lannion.
Un grand atelier Presle se trouvait boulevard Charner et sa proximité était une bonne raison pour que des femmes du quartier de Robien y travaillent.
Presle boulevard Charner. L'Illustration 1926. |
Dans les années 1920, la production annuelle dépassait les 8 000 tonnes, soit 25 tonnes de matières diverses par jour expédiées en France et à l’étranger (chiffres de 1926).
Presle 1944. Dossier 3 L 147. Archives municipales. |
C’est d’ailleurs M. Émile Presle qui était le président d’honneur la réunion annuelle du syndicat des Chiffonniers et Ramasseurs des Côtes-du-Nord le 10 juillet 1948 à Saint-Brieuc. M.Presle offrit le champagne à tous les présents. L’assemblée fut suivie d’un banquet d’une soixantaine de couverts à l’Hôtel de la Croix-Rouge « où un déjeuner copieux, arrosé de forts bons vins et cidre fut servi impeccablement. » (Ouest-France 17 juillet 1948)
1944. Familles Presle, Le Bigot et Gaudu. Fonds Gaudu. Archives municipales |
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Un vol en 1928
L'édition du 26 mars 1928 de La Dépêche de Brest s'arrête longuement sur un vol commis aux établissements Thomas. On y trouve des informations intéressantes sur cette entreprise, par exemple sur le type de peaux récoltées : taupes, loutres, écureuils, hermines, putois.
Le voleur avait eu la mauvaise idée de vouloir revendre certaines peaux à la maison Presle. Mais le commissariat fut immédiatement averti et l'individu arrêté... Un autre vol aura lieu en 1937 et sera journalisé (voir en fin d'article).
Vol chez Thomas. La Dépêche de Brest 26 mars 1928 |
L’évolution de l’entreprise dans le quartier. Années 30
M. Thomas est resté dans le quartier de Robien mais déjà avant la Seconde guerre mondiale, il trouve d’autres locaux de l’autre côté de la rue Jules Ferry au numéro 21 et habite à cette même adresse.
Au début des années 30, son fils Albert, travaillait avec lui comme on le voit mentionné dans le recensement de 1931.
Recensement 1931. Archives départementales |
On trouve la preuve de sa présence à cette adresse par les recensements de 1931 et 1936, et jusqu’en 1955 où il figure dans l’annuaire téléphonique.
Dans les années 30, Jean et Thérèse Thomas mettent en avant leur fabrique de fourrures, présentée comme la seule de la région. Elle se fait connaitre en passant des annonces dans la presse locale.
Le
nom de leur société est La
Pelleterie de Bretagne. Une marque a même été déposée, il s'agit de « Poilkidur ». Un magasin des fourrures Poilkidur commercialisait ces produits place du Martray à Saint-Brieuc.
La
mode est alors aux accessoires en renard, avec des cols et cravates en tous
genres : martres, fouines et putois.
Annonce Pelleterie de Bretagne, 19 septembre 1931. Ouest-Eclair |
Annonce passée dans l'Annuaire téléphonique des Côtes-du-Nord 1934. |
Annonce Poilkidur, marque des établissements Thomas à St Brieuc. |
Une autre Pelleterie de Bretagne existe à Lannion mais le lien entre celle de St Brieuc et celle de Lannion n'est pas établi d'après les archives découvertes à ce jour...
25 septembre 1927. Ouest-Eclair |
1er novembre 1928. Ouest-Eclair |
L’entreprise Thomas pendant la Guerre 39-45
L’observation de quelques factures conservées aux archives municipales de la ville de Saint-Brieuc ne nous disent pas tout, loin de là, de l’activité de l’entreprise Thomas pendant la guerre 39-45. Mais malgré tout on peut en tirer quelques remarques.
Tout d’abord, le papier à en-tête renseigne sur le fait que l’entreprise s’occupait de la récupération de chiffons d’essuyage pour les machines, de vieux métaux, de vieilles matières et déchets divers pour les industries ainsi que de peaux en tous genres. D’autre part, elle pouvait réaliser la démolition d’usines et certainement récupérer des matériaux intéressants suite à cette démolition.
La première facture de chiffons de janvier 1940 montre que les ballots de chiffons pesaient 50 ou 100 kilos.
Thomas 1940. Facture. Archives municipales 3L 137 |
L’autre facture de janvier 1940 est spécifique aux métaux : surtout des ferrailles mais aussi en moindre quantité zinc, fonte, cuivre jaune, tôle à découper, essieux.
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La fin de l’entreprise. Années 50
On sait peu de choses sur les dernières années de l'entreprise Thomas.
L'année 1951 est marquée par un drame. Un article de Ouest-France du 8 juillet
1951 nous apprend que, malheureusement, M. Andrieux, 27 ans, fut jugé responsable
d’un accident mortel. Le 17 avril, alors qu’il était au volant de la
camionnette de son patron M.Thomas, il accrocha le vélo de Pierre Mahé, âgé de
20 ans, ouvrier aux Forges-et-Laminoirs.
M. Thomas est resté au moins jusqu'en 1958, date d'annonces passées dans Ouest-France au 21 rue Jules Ferry (6 octobre, 22 octobre, vente de tôles ondulées).
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Anecdote
Les chiffonniers attirent parfois la convoitise des voleurs. C'est ce que nous allons voir avec cette histoire qui se déroule en mars 1937, elle est relatée dans Ouest-Eclair : deux jeunes de Saint-Brieuc décident de se procurer un peu d’argent en commettant un vol. Ils escaladent le mur de deux mètres de haut du chiffonnier Eugène Méheut, rue Jules Ferry et font une provision de 12 kilos de plomb qu’ils vont scier. Ainsi espèrent-ils que les matériaux transformés ne seront pas reconnus. Jules S. donne un faux nom et se présente ensuite chez M. Thomas qui exerce le même métier que M. Méheut pour lui revendre le larcin.
« Seulement, M. Méheut s’était aperçu du vol et avait alerté ses collègues briochins. Un coup de téléphone de M. Thomas l’avertit qu’un jeune citoyen était au magasin, proposant du plomb. Le plaignant reconnut son bien et alerta la police qui obtint des aveux ».
Le tribunal condamna Jules S. à 25 francs d’amende et acquitta son complice qui n’ayant pas participé à la transaction avait choisi de dire au tribunal qu’il était chez sa mère ce soir-là.
(D’après l’article de Ouest-Eclair du 12 mars 1937)
Sources
Etat civil, registre des naissances de Lanfains avec mention des deux mariages. Année 1887, vue 116. Archives départementales en ligne, cliquer ici.
Ouest-Eclair, articles du 30 mars 1926 (accident), 17 juillet 1948 (congrès), 8 juillet 1951 (accident Andrieux), 2 novembre 1951 (vol).
Ouest-France : 8 juillet 1951, 6 octobre 1958, 22 octobre 1958.
Annuaires téléphoniques des Côtes-du-nord 1934 (annonce). Archives départementales.
Recensements 1931 et 1936. Archives départementales.
Factures de 1940. Dossier 3L 137. Archives municipales
Facture Presle de 1944. Dossier 3L 147. Archives municipales
Deux photos sont extraites de L’illustration économique et financière, supplément au numéro du 18 septembre 1926.
Généanet, fiche sur Jean Thomas, cliquer ici
Registre matricule, cliquer ici
L’histoire des chiffonniers du XXe siècle, et de leur manière de trier et de recycler, nous ramène à ce début de XXIe siècle où les concepts d’économie circulaire est d’actualité.
La concentration autrefois de nombreux chiffonniers industriels dans le quartier de Robien trouve aujourd'hui un héritage naturel dans l'engagement de ses habitants à en faire un Eco-Quartier vivant.
Chiffonniers,
fourreurs, marchands de peaux. Quartier de Robien
Repères
1920. Chiffonnier : Mennou Albert, 29 boulevard Carnot
1932-1936. Fourreurs : La Pelleterie de Bretagne, Jean et Thérèse Thomas, 13 bis rue Jules Ferry
1932-1936. Peaux : Eugène Méheut, 33 bis rue Jules Ferry
1948-1949.
Récupération de peaux : Méheut, 81 rue Jules Ferry ; Pradat,
47 rue Jules Ferry ; Thomas,
21 rue Jules Ferry, Presle rue Luzel
1955. Chiffons : Thomas Jean, 21 rue Jules Ferry
1955. Récupération de peaux : Pradat, peaux brutes, 47 rue Jules Ferry
1973. Récupération de chiffons et peaux : Méheut E, 35 rue Jules Ferry ; Pradat, 47 rue Jules Ferry
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