L'annonce des premières victimes
Le bulletin paroissial est une source d’informations très intéressante pour mieux comprendre comment cette guerre de 14-18 a été ressentie par les paroissiens de Robien.
Très vite, malheureusement, l’annonce des trois premières victimes va endeuiller le quartier : l’adjudant Auguste Pansart ; le sergent Auguste Poudoulec ; Pierre Hux, de la rue Luzel.
Auguste Pouloudec, un habitant du boulevard Hoche, est tué le 30 août aux environs de Sedan. C’est l’abbé Le Douarec, l’aumônier militaire du 271e, qui lui ferme les yeux. Il était parti le dimanche 9 août après avoir communié à l’église de Robien de très bonne heure, avant le lever du jour.
Pour chaque défunt, un service est célébré à l’église Sainte-Anne.
En novembre, d’autres mauvaises nouvelles arrivent et un service est dit pour Maurice Eno, blessé à Dixmude et mort à l’hôpital de Dunkerque.
Quand les hommes de la classe 1915 se mettent en route le 18 décembre 1914 pour rejoindre les régiments auxquels ils sont affectés, le curé détaille leur état-civil et leur affectation. Il précise que tous ces jeunes gens ont assisté à deux messes célébrées à leur intention avant leur départ et ont reçu la communion : « Qu’ils demeurent bons français et bons chrétiens ! »
Les blessés sont également très nombreux : François Le Breton, 30 rue Luzel, est blessé au bras droit ; Jean Le Charpentier, 34 rue Luzel, est atteint d'un éclat d'obus au côté gauche, il est hospitalisé à Fougères... La liste est longue.
Le 71e Régiment d'Infanterie, une rue porte son nom. Archives municipales |
Les premiers prisonniers
Les prisonniers du quartier, détenus en Allemagne ne sont pas oubliés :
M. Reux ; M. Pléven ; Louis
Feurgard ; Ernest Moulin, le sergent Le Gall, tous de la rue Jules Ferry ;
l’adjudant Dagort du boulevard Hoche, le sous-lieutenant Guillory de la rue
Luzel (ces deux derniers, appartenant à la même compagnie, sont faits prisonniers à Magdeburg le 9 octobre 1914),
M. Kerhouse de la rue Luzel. L'abbé Pierre Morcel est également prisonnier.
Un peu plus tard un autre prisonnier est ajouté, M. Kerbiriou de la Croix-Péron.
Un Livre d'or
Dans une rubrique intitulée « Les braves », le curé indique que « les paroissiens de Sainte Anne continuent à faire bravement et glorieusement leur devoir » mais l’état des lieux des prisonniers, des blessés et des morts montre l’étendue des dégâts. Un appel est lancé pour que les familles de Robien signalent « tout ce qui concerne les paroissiens qui sont au feu ».
Tout sera consigné dans le bulletin paroissial et constituera le Livre d’or de Sainte-Anne de Robien. L’idée du curé est la suivante : « Nos absents sont en ce moment en train d’écrire une magnifique page de notre histoire paroissiale. Il faut que nos archives conservent à jamais le souvenir de la vaillance et des actions éclatantes, et des blessures et de la mort glorieuse de chacun des habitants de cette jeune paroisse. »
Le patriotisme est mis en avant comme lorsqu’on apprend qu’un généreux donateur a fait cadeau d’un superbe drapeau tricolore à l’église Sainte Anne.
Les récits de combattants apportent de nombreux détails de la vie quotidienne comme celui de M. Pelé, qui écrit le vendredi 23 octobre d’Avesnes-le-Comte dans le Pas-de-Calais. Il donne des nouvelles des destructions subies par la basilique d’Albert, car on lui en a demandé et ajoute: « Ces sauvages semblent avoir pris à cœur de tout démolir sur leur passage ».
La basilique d'Albert et sa statue de la Vierge penchée |
Pendant la guerre 14-18, l'abbé Pelé donne de ses nouvelles sur le front et ses courriers sont publiés dans le journal de la paroisse. Les petites et les grandes histoires s'y côtoient :
"Nous avons un cantonnement excellent. Il a fallu le disputer aux rats ; mais nous avons fini par avoir le dessus...
Nous assistons à la plus grande bataille qui se déroule depuis plus de quinze jours aux environs d'Arras...
Je suis navré des tristes nouvelles que vous m'annoncez (la mort de trois de nos paroissiens). Veuillez me servir d’interprète auprès des familles éprouvées pour leur dire la part que je prends au malheur qui les frappe et les assurer que je n'oublierai pas leurs chers disparus dans mes prières."
En mars 1915, le bulletin paroissial cesse de fournir des informations car l’abbé Le Roux est mobilisé et son vicaire, l’abbé Pelé, était parti dès le cinquième jour de la mobilisation.
Des troupes stationnées à Robien. 1916
L'édition de Ouest-Eclair du 17 juin 1916 nous apprend qu'un détachement militaire s'est installé dans la quartier de Robien, dans un chantier en face des Forges-et-Laminoirs.
Militaires à Robien 17 juin 1916 Ouest-Eclair |
Un monument en hommage aux victimes
En février 1919, le bulletin paroissial sort à nouveau et l’idée d’un monument pour rendre hommage aux victimes est évoquée sur quelques lignes. Une souscription est ouverte mais le curé attend la signature du Traité de Paix avant de commander cet ouvrage d’art.
En attendant cette réalisation, de nombreux portraits détaillés sont faits des victimes ; des petits articles nécrologiques sont rédigés à partir des éléments fournis par les familles comme pour Auguste Pansart ou encore Auguste Poudoulec.
Le dimanche 27 juin 1920, le monument commémoratif des Morts de la Grande Guerre est placé dans l’église Sainte-Anne de Robien. « Il fait honneur et à l’artiste M. Le Goff, qui l’a conçu et exécuté et aux paroissiens qui l’ont offert ». Le monument s’élève à la place de l’ancien autel que le séminaire avait prêté à la paroisse.
Ce 27 juin,
un service est chanté pour les 66 victimes de la paroisse. La bénédiction du monument est accompagnée par de nombreux paroissiens et par une délégation du Conseil municipal, répondant à l'invitation de M. le curé.
Ci-dessous, cette facture de l'entreprise de M. Elie Le Goff pour la restauration d'une statue de Duguesclin à Saint-Brieuc nous renseigne sur ses différentes spécialités : statues religieuses, chemins de Croix en terre cuite, bois et pierre blanche, menuiserie d'églises, autels, chaires à prêcher...
L'entreprise Le Goff était située 27 rue du Légué (voir son portrait plus bas, rubrique Le saviez-vous?).
Facture délivrée par la maison Le Goff en 1906. Archives municipales 3L135 |
Retrouvez la liste des victimes du quartier de Robien pendant la Guerre 14-18 en cliquant ici
Cet autel permet aux paroissiens de venir comme pour un pèlerinage et de méditer et prier devant.
Les inscriptions sont les suivantes :
« La paroisse reconnaissante »
et plus bas
« Aux enfants de Sainte-Anne de Robien morts pour la Patrie 1914-1919 »
Autour du médaillon :
« Pro Deo, pro Patria ceciderunt, c’est pour Dieu, et la Patrie qu’ils sont tombés ».
Les sculptures symboliques sont les suivantes : Croix de guerre, palmes, fusils entrelacés, ancres, épées.
Croix de Guerre |
Les noms des 66 victimes sont gravés en lettres rouges. L’idée dominante du monument est pour le curé « l’idée de la rédemption et de la victoire par le sacrifice ». La ville de Saint-Brieuc comptera 925 victimes en tout.
Cet ensemble peut être rapproché de celui réalisé par elie Le Goff à Etables où figure une inscription assez semblable : « Pro Deo, pro Patria. Fortes ceciderunt".
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La description complète en est faite par le curé de Robien dans le bulletin paroissial :
"Voyez les sculptures symboliques : ces croix de guerre, ces palmes sur lesquelles s’entrelacent les fusils, les ancres, les épées : tout cela vous dira la force de leurs bras et leurs titres de gloire.
Voyez encore ces deux plaques de marbre, je pourrais dire ces deux pierres tombales, car la plupart d’entre eux n’en auraient jamais d’autres, où les noms des 66 victimes sont gravés en lettres rouges, symbole du sang qu’ils versèrent et de l’amour surhumain qui les anima.
Mais retenez surtout l'idée dominante du monument : c'est l'idée de la rédemption et de la victoire par le sacrifice.
Sous la table de l’autel, dans le panneau du milieu, un médaillon représente la mort du poilu. C’est un petit chef d’œuvre.
Mortellement blessé, le soldat va rendre le dernier soupir. Son fusil est tombé de ses mains défaillantes. Appuyé contre un arbre déchiqueté, réconforté par un prêtre, soldat lui même, le petit Français meurt tranquille, avec la satisfaction du devoir accompli, la figure reposé et fière et les yeux fixés sur un calvaire qui se dresse à quelques pas. Le sacrifice du soldat rachète et sauve la patrie".
La chapelle se trouvant encore de nos jours dans l'église de Planguenoual a de fortes similitudes et elle est aussi d’Élie Le Goff (voir page 88 du livre Faire son deuil, construire les mémoires. Yann Lagadec. Éditions A l'ombre des mots).
Église d’Étables. Photo RF 2023 |
Ci-dessous la description complète
Le dimanche 27 juin 1920, une cérémonie est organisée pour inaugurer le monument et le bénir. L’église est archi comble. Dehors, presque autant qu’à l’intérieur. Au premier rang il y a une délégation du Conseil municipal, le Conseiller général, le Général, le Colonel, un certain nombre d’officiers, de nombreuses personnes du clergé.
Le lundi 28 juin 1920 se
déroule un service pour les 66 victimes du quartier. On peut imaginer la douleur de toutes les familles rassemblées en cette occasion...
Qu'est devenu ce monument ?
Le saviez-vous ?
Le sculpteur Elie Le Goff (1858-1938) qui a conçu le Monument aux morts de la Guerre de 14-18 pour l'église de Robien n'est autre que le père de ses trois fils Paul, Elie et Henri, sculpteurs comme lui et morts au combat en 14-18. La ville de Saint-Brieuc leur a rendu hommage en désignant l'ancienne rue du Légué où vivait la famille : Rue des Trois frères Le Goff.
Elie Le Goff a réalisé plus d'une vingtaine de monuments aux morts. Il est aussi l'auteur à St Brieuc des sculptures autour de l'horloge de la Poste, du buste de Villiers de l'Isle Adam. Et le plus émouvant, c'est lui qui a réalisé le médaillon en bronze avec ses trois fils sur la tombe toujours visible au cimetière Saint-Michel (voir ci-dessous).
Les 3 frères Le Goff. Cimetière Saint-Michel |
Fiche Wikipédia Elie Le Goff en cliquant ici
Article très complet sur les oeuvres de la famille Le Goff, sur Breizh-info.com, en cliquant ici
D'autres monuments commémoratifs dans les églises
De nombreux monuments commémoratifs ont été édifiés dans les églises pour honorer les victimes de la Guerre 14-18. Ci-dessous, une partie du monument de Lassay-les-Châteaux qui peut avoir une similitude avec celui de Robien. On y retrouve en effet une liste de noms en rouge et des palmes sur les côtés.
Photo Christine Leduc-Gueye |
Ci-dessous un autre exemple dans le hameau de Pélasque (06).
Monument 14-18 à l'intérieur de l'église de Pélasque (06) |
Ces œuvres, propres à l'église catholique, reprennent les thèmes des monuments aux morts des communes. Mais elles s'en distinguent car elles font figurer les membres d'une paroisse dans les villes, ce qui est différent du cas d'un village où tout le monde est cité. Dans certains cas, le curé peut se réserver le droit de ne pas faire figurer le nom d'un soldat hostile à l'église. Une famille anti-cléricale peut aussi se réserver le droit de ne pas être sur le monument de la paroisse.
Les monuments à l'intérieur des églises se différencient aussi des monuments civils car ils mettent en avant des symboliques religieuses : sacrifice, consolation et espérance dans le Christ et la Vierge. Elles associent Dieu et la Patrie (Pro Deo, pro Patria), la croix et le drapeau.
L'école des Filles, boulevard Carnot, transformée en hôpital militaire
Germaine Hello, une ancienne élève de l'école des Filles installée alors boulevard Carnot, raconte : "Je me plaisais beaucoup à l'école Carnot... mais pendant l'année scolaire 1917-1918, nous avons dû laisser la place aux blessés de guerre".
Ecole des filles, boulevard Carnot. Archives municipales |
Quand Germaine Hello (Guays par son nom de mariage) raconte que l'école des filles a été fermée à la dernière année de la Guerre 14-18, elle fait référence à cette période où la Ville de Saint-Brieuc avait été obligée de trouver des lieux pour soigner les victimes de la guerre.
Quatorze hôpitaux étaient ouverts et l'école des Filles, 15 boulevard Carnot était désignée comme "Hôpital complémentaire 100".
Cet hôpital possédait 122 lits et avait déjà fonctionné du 1er juin 1915 au 10 mai 1916.
Hôpitaux accueillants des militaires en 14-18. Ecole des Filles n°8 sur le plan. Document Le Télégramme. |
Une plaque pour François Clairon
En
juin 1920, une plaque va être posée à l'école en mémoire de M. Clairon,
instituteur-adjoint à l'école Guébriant et tué en 14-18.
François Clairon 22 juin 1920. La dépêche de Brest. |
A Saint-Brieuc
Le bilan global des pertes humaines est effroyable sur Saint-Brieuc, la liste qui figure sur le Monument aux morts fait état de 670 victimes. Le nombre des blessés et malades de guerre est équivalent. Le département des Côtes-du-Nord fut le cinquième de France comme nombre d'orphelins de guerre, ou "pupille de la Nation". Les pupilles recevaient des allocations pour aller à l'école ou en apprentissage, jusqu'à 18 ans. En 1922, le nombre de pupilles du département dépassait 12 000, dont 400 à St Brieuc.
En 1918, la Ville voulant honorer son régiment qui avait tant lutté et tant souffert, donna le nom de Rue du 71e Régiment d'Infanterie à la rue du Lycée (Le Braz). Elle donna aussi le nom de Boulevard Clémenceau au boulevard National. Puis en 1919 transforma la Place d'Orléans en Place du 74e Régiment Territorial (d'après J.B Illio, Histoire de St Brieuc 1931).
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La liste des victimes du quartier de Robien pendant la Guerre 14-18
Le saviez-vous ?
La Guerre de 1870 avait beaucoup marqué les Français avant celle de 14-18. Dans le quartier de Robien, on peut signaler que Jean Durand, habitant au 3 rue de Robien a été récompensé en juin 1912 par l'attribution de la Médaille commémorative de la campagne 1870-1871. Cette médaille a été créée par la loi du 9 novembre 1911.
Médaille de la Guerre de 1870 |
De nombreuses personnes du quartier ont heureusement survécu à cette guerre de 14-18. Ainsi peut-on signaler par exemple Gaston Le Tallec, né à Rouen, habitant 96 boulevard Hoche, employé à la S.N.C.F, marié avec Berthe Cariou, lieutenant de réserve, Croix de Guerre 1914-1918, Chevalier de la Légion d'honneur, décédé dans sa 79e année, dont les obsèques ont eu lieu en l'église de Robien le 18 décembre 1961. (Avis dans l'édition du 16 décembre, Ouest-France)
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Sources
Bulletin paroissial, années 1914 à 1920, disponible aux Archives départementales 22; article sur l'autel des Morts juin 1920.
Les représentations de la Grande Guerre sur les monuments aux morts peints en Pays de la Loire. Christine Leduc-Gueye. Open Edition Presses Universitaires de Rennes.
Hôpitaux St Brieuc, forum 14-18, ici
Les Bretons dans la Guerre de 14-18, Jean-Pascal Soudagne, éditions Ouest-France
Archives municipales de St Brieuc, factures de M. Le Goff 3L135
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