mardi 4 juillet 2023

Le lotissement des Forges-et-Laminoirs, boulevard Carnot à Saint-Brieuc. 1939

  

 

1939 Maison des Forges-et-Laminoirs


 

La politique de logement aux Forges-et-Laminoirs

Dès 1921, des logements sont construits par la direction pour les ouvriers des Forges (Archives départementales 109J14).

A la fin de l’année 1938, un document fait état du projet de logements des Forges-et-Laminoirs :

« La société des Forges-et-Laminoirs de Bretagne a entrepris la réalisation d’un programme de maisons ouvrières dans le but de lutter contre les taudis et de loger ses ouvriers dans de meilleures conditions d’hygiène.

La société des Forges-et-Laminoirs de Bretagne accordera à ses ouvriers la jouissance de ces maisons, moyennant une indemnité mensuelle variant de 20 à 60 francs par temps de présence et pour les charges de famille des ouvriers, aucune retenue n’est ponctionnée sur les salaires.
La première tranche de 6 maisons a été réalisée par ses propres moyens de financement. Une prochaine tranche de 12 maisons doit voir le jour.
 »

Archives départementales. 109 J 35

 

Un nouveau lotissement en 1939

Le 24 novembre 1939, la Société des Forges-et-Laminoirs de Bretagne et du Bourget, sollicite l’autorisation de construire une série de dix maisons ouvrières.

 


 

C’est l’entreprise de M. Yvon Scotta, successeur de l’entreprise Zocchetti, qui est chargée de ce chantier sur des terrains du boulevard Carnot, tout près de la maréchalerie de l’usine.

 



Plan d'ensemble du lotissement. Archives municipales

 

La photographie aérienne ci-dessous permet de se repérer dans le quartier de Robien après-guerre. On a :

Les bâtiments des Forges-et-Laminoirs (détruits et remplacés de nos jours par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie)

Les 10 maisons dont les premières de chaque rangée sont mentionnées avec le signe *

Les maisons des contremaitres, avec celles qui bordent la rue Luzel, en haut de la photo, et les trois autres sur le bord de ce qui est de nos jours le boulevard Vauban (pas encore tracé après-guerre)

 

Photo aérienne 1947. Archives municipales

 

Les plans du lotissement sont déposés, visés par le Directeur des travaux de la Ville et le permis de construire est accordé par la Mairie de Saint-Brieuc.

 

Plan. Archives départementales

 


Les dix maisons sont de taille modeste, sans étage, elles possèdent un petit sellier et des toilettes à l’intérieur.

 

Plan d'une maison du lotissement. Archives départementales


 

 

Les Forges-et-Laminoirs n'en sont pas à leur première construction, cette entreprise a fait construire dans le quartier de Robien, immédiatement avant-guerre, une centaine de logements ouvriers avec de petits jardins.

 

Qui y habitait ?

Dans la population du boulevard Carnot en 1936 (Recensement 1936 Vue 60), on trouve de nombreux ouvriers des Forges : au numéro 49, Marcel Gallouet, employé de bureau et Gabriel Devigne, fondeur. Au numéro 51, Alphonse Burniaux, forgeron; Roger Fürhrmann, lamineur; Pierre Sauzéat, manœuvre ; Lucien Sauzéat, fils, tourneur. Au numéro 53, David Peyre, électricien ;  Au numéro 55, Ernest Rass, contremaitre ; Au numéro 57, Jean Toqué, gardien.

Du « côté pair », on a onze travailleurs logeant à la même adresse, plusieurs sont venus de l'étranger : Paul Corack, manœuvre ; Albert Cosson, lamineur ; Léon Lucas, manœuvre ; Georges Trautmann (né dans la Sarre), manœuvre ; Oscar Lecoq, rattrappeur ; Ali Hamed Ben Barech (né au Maroc), manœuvre ; Hamed Ben Barech (né au Maroc), manœuvre ; Jean Odintzeff (né à Parlossk en Russie) ; Stephan Belak (né à Voyka) ; Casimir Gorniack (né en Pologne) ; Maurice Hachemis (né à Alger). 

Rue Luzel, on a aussi Nicolas Soroka, lamineur, né en 1905 en Pologne ; Ernest Maday, lamineur, né en 1915 en Hongrie, Louis Jaran, monteur électricien, né en 1885 en Suisse.  

En 1931, de nombreux travailleurs des pays de l'Est de l'Europe apparaissent également dans le recensement du boulevard Carnot où ils travaillent tous aux Forges-et-Laminoirs. Les approximations et erreurs de transcription de l'agent recenseur doivent être nombreuses mais cette liste est néanmoins intéressante : Ahmed Barech, 1894, Marocain ;  Ben Ali Barech, 1892 à Sousse, Marocain (ou Tunisien puisque Sousse est en Tunisie) ; Oscar Amed, 1898, Maratuil ; Oscar Lecoq, né en 1894 à Louvryl (ou Louvroil, une ville du Nord avec une forte tradition dans la sidérurgie), Belge ; Vincent Gorniack, 1888, Octelle, Polonais ; André Kadéralec, 1898, Mochow, Tchécoslovaque ; Stanislas Kerskinsky (ou Krzesinski ?), 1905, Uzorziju, Russe ; Antoine Moraviak, 1894, Konzyan, Polonais ; Jean  Odintzeff (ou Medintzeff ?), 1898, Parlossk, Russe ; Michel Palavoyky, 1890, Kortj, Polonais ; Jean Stanoviski, 1894, Michalof, Polonais ; Vincent Szalasky, 1900, Michadou, Polonais ; Georges Simonoff, 1898, Odessa, Russe.

Alors, et ce n’est encore qu’une interrogation, trouvait-on certains de ces travailleurs dans les maisons ouvrières construites sur le terrain des Forges ?

 

Sur la photo aérienne ci-dessous, en bas à gauche, on aperçoit les petites maisons du lotissement des Forges-et-Laminoirs.

 

Photo aérienne. Fonds Henrard. Archives départementales.

 

La vie dans ce petit lotissement

On sait peu de choses sur la vie dans cette petite cité. Le 20 décembre 1948, le conseil d’administration de la Société de Secours Mutuel des Forges-et- Laminoirs se réunit, plusieurs habitants du quartier de Robien en sont membres : président, François Urvoy, 52 rue Luzel ; vice-président Julien Bommersbach, 52 rue Béziers Lafosse ; Roger Bernard 13 rue Emile Zola. Dans le compte-rendu, on peut lire que la réunion s’est tenue « à la baraque des polonais ».

Sachant qu’il y avait des polonais et russes dans les travailleurs cité plus haut, est-ce que c’était une manière de désigner ce petit ensemble de maisons ?

 

Années 40. Le lotissement est sur la gauche de l'image.



 

La disparition de ce lotissement

De nos jours il ne reste aucune trace de ces dix maisons. Il est difficile de déterminer exactement en quelle année elles ont été détruites. Par contre on sait qu'à proximité, la destruction de certains bâtiments comme les bureaux, les vestiaires, les magasins, les armatures, une partie du parc matières premières, était déjà achevée en 1974.

On peut se faire une idée du type de maison ouvrière de cette époque en observant ici et là, dans le quartier de Robien, celles qui sont encore habitées de nos jours.

 

Maison ouvrière rue François Merlet, quartier de Robien

 
Maison ouvrière rue François Merlet, quartier de Robien



Le parc immobilier des Forges-et-Laminoirs

 

Le 17 septembre 1956, dans un document, la société des Forges-et-Laminoirs de Bretagne fait le point sur sa politique de logement.

« Les logements ont été construits pour fixer une main d’œuvre, en l’occurrence 300 ouvriers. En 1956, 90 ouvriers et employés sont logés par la société. Lors d’un décès, la famille reste dans le logement ».

Au total, en plus des maisons éparpillées dans le quartier de Robien, trois cités ont été construites : une cité de 10 maisons avec jardin, une cité de 5 maisons avec jardin et la cité Maréchalerie de 10 maisons de 3  pièces avec jardin.

 

Petit à petit, au fil du temps, ces maisons seront louées ou vendues à des personnes n'ayant plus aucun rapport avec l'entreprise. Le lotissement de 10 maisons sur le site de l'usine sera détruit.

 

 

 

D'autres articles dans ce blog évoquent les petits lotissements ouvriers de Robien

 


 

 

 

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Sources

 

Dossier 2 T 53 Archives départementales, le même dossier est également aux archives municipales (numéro 1079)

 

Photo aérienne, agrandissement d'une photo de 1947 des Archives municipales, référence 6 Fi 4282

 

 

 

 


Édouard Prigent, homme politique et de culture, 5 rue de l'Ondine, quartier de Robien à Saint-Brieuc

 

Portrait d’Édouard Prigent 1919-1992
 


Édouard Prigent

Édouard Aimé Marie  Prigent est né le 20 mai 1919 à Kerverbel en Saint-Martin-des-Prés (22) où son père était couvreur.

Prigent. Acte de naissance. 1919


Il fait ses études au Lycée Anatole Le Braz à Saint-Brieuc puis à la Faculté des Lettres de Rennes. Il est mobilisé et fait prisonnier en juin 1940, s'évade puis est repris.

Démobilisé, il enseigne à Valognes dans la Manche à partir d'octobre 1943. C'est là qu'il rencontre Étiennette Rilliot avec laquelle il se marie le 22 février 1945 à Boutteville, dans la Manche.

Le couple décide de s'installer en Bretagne, un retour pour Édouard Prigent qui est nommé à Saint-Brieuc en octobre 1945. Il prend une année de congés pour passer l'agrégation de grammaire à laquelle il est reçu second en 1947.

Enseignant de Français aux Lycées Le Braz, Renan et Rabelais, il aura formé des centaines de jeunes briochins pendant ses 35 années de carrière avant de prendre sa retraite en juin 1977. 

25 juin 1977 Ouest-France

"Celui que ses élèves appelaient affectueusement "Doudou" reste dans la mémoire de nombreux briochins. Claude Saunier, ancien maire de la Ville, est l'un d'eux. Il se souvient particulièrement du cours qui a suivi le décès de l'acteur Gérard Philippe... Tous gardent en mémoire l'attention extrême qu'il leur portait. "Ce qu'il nous a appris, c'est la rigueur de la pensée, la limpidité de l'expression". Reste aujourd'hui le souvenir de sa modestie, de sa sensibilité, de sa profonde humanité." (Extraits de l'édition de Ouest-France du 3 mars 1992)

 

Edouard Prigent. Photo Ouest-France

 

Le jeudi 13 février 1992, Édouard Prigent avait programmé bien à l'avance, à la Maison du Peuple, une conférence sur l'histoire des rues de Saint-Brieuc. Mais, hospitalisé pour être soigné d'une angine de poitrine, ce projet n'aboutit jamais et c'est le 14 février 1992 à Saint-Brieuc que s'éteint Édouard Prigent à l'âge de 72 ans.

 

Édouard Prigent, un homme engagé

Édouard Prigent était une figure locale, connu pour son engagement au Parti  communiste dont il est membre de la direction départementale de 1948 à 1962.

C'est donc sous l'étiquette communiste qu'il se présente à plusieurs élections comme par exemple aux cantonales de mars 1949, d'octobre 1951, d'octobre 1958 et de juin 1961. 

Il devient conseiller municipal dès 1947 et jusqu'en 1977, on le retrouve la plupart du temps adjoint au maire de Saint-Brieuc.

Il est également maire par intérim après le décès d’Antoine Mazier de décembre 1964 jusqu'aux élections de mars 1965. 

Au moment de son décès en 1992, le Parti Communiste  organise une cérémonie à la Maison du Peuple, un lieu qu'il affectionnait particulièrement.

La Ville de Saint-Brieuc, de son côté, a voulu lui rendre hommage en donnant son nom à un boulevard en 1992. 

3 mars 1992 Ouest-France

L'inauguration de ce boulevard partant de la Croix-Mathias est malheureusement ternie par l'absence de Mme Prigent qui n'avait été invitée ni à la séance du Conseil municipal sur le sujet, ni à l'ouverture du boulevard.

24 décembre 1992. Ouest-France

Cette "bévue" de la municipalité a causé un certain émoi dans le quartier de Robien ainsi que de la colère...

26 décembre 1992 Ouest-France

Les excuses de la municipalité n'y changeront rien...

 

Plaque du boulevard Edouard Prigent à Saint-Brieuc. Photo RF 2023

 

Édouard Prigent, homme de culture

Édouard Prigent était un professeur et un homme de culture qui donnait des conférences pour partager sa passion de la littérature : "Saint-Brieuc dans l'oeuvre de Louis Guilloux" 1957, "La littérature et la mer" 1960, "Le surréalisme", "Georges Palante"...

E. Prigent 8 novembre 1990 Ouest-France

Édouard Prigent est un spécialiste de l'oeuvre de Louis Guilloux dont il avait découvert La maison du Peuple, en classe de Seconde grâce à son professeur au Lycée Le Braz. En 1935, il ne manque pas la sortie de Le Sang Noir

Quand il revient à Saint-Brieuc en 1949, il se met à lire les autres ouvrages de Louis Guilloux et propose une conférence sur "Saint-Brieuc dans l'oeuvre de Louis Guilloux". L'écrivain n'est pas présent mais son épouse et sa fille sont dans la salle. "Dès le lendemain, il m'attendait à la sortie du Lycée. Ce fut le début d'une amitié qui dura jusqu'à sa mort. Je le voyais assez souvent quand il n'était pas à Paris. Il me téléphonait. Il parlait de ses projets et des évènements. Il était très préoccupé par la guerre, la crise, la guerre froide, l'Indochine, l'Algérie. Il était assez désespéré devant ce qu'il concevait comme des échecs de l'humanité pour parvenir à un monde meilleur." raconte Édouard Prigent.

22 janvier 1957 Ouest-France

 

Édouard Prigent a publié plusieurs ouvrages dont celui sur   Louis Guilloux en 1972 aux Presses Universitaires de Bretagne. Cet ouvrage de référence a inspiré bien des auteurs par la suite.


Un autre ouvrage intitulé Les rues de Saint-Brieuc chantent la Révolution a été publié en 1989.


Édouard Prigent y recense une quarantaine de rues, boulevards ou places ayant trait à la Révolution de 1789.

Le premier outil de travail d'Edouard Prigent : le plan de Saint-Brieuc.

C'est un livre conçu pour pouvoir déambuler dans les rues, un plan à la main, tout en faisant un bond dans l'histoire passée. Cette promenade est illustrée par des documents des Archives municipales.

12 et 13 août 1989. Le Télégramme


Édouard Prigent avait aussi des talents de conteur. Très sensibilisé par les contes populaires, il mettait sur le même plan le Français, le Breton et le Gallo.

 

Document

En 1949, la Municipalité de Saint-Brieuc décide de supprimer sa subvention pour la saison lyrique. Édouard Prigent monte au créneau, en tant que Conseiller municipal d'opposition, dans une tribune libre dans le journal du Parti Communiste, L'Aube Nouvelle (18 juin 1949). Extraits :

"On sacrifie le théâtre lyrique ? Et pourquoi pas les pelouses, les jardins, la bibliothèque et les congés payés? ... On objecte les difficultés financières de la cité ? Et les difficultés des artistes et des professionnels du théâtre ?... C'est ainsi que l'on organise en France une crise de l'art dramatique qui est une attaque à la Patrie et à sa grandeur...

Une fois de plus apparaissent, de façon criante, les méfaits de cette politique qui tend à l’abrutissement de la nation."

 

Édouard Prigent à Robien

Au 5 rue de l’Ondine, on peut alors apercevoir une maison de style néo-normand avec un mélange de faux pans de bois en béton peint et de pierres apparentes en granit rose : c’est la maison qu'ont fait construire M et Mme Rilliot en 1937, beaux-parents d’Édouard Prigent. C'est là que ce dernier choisit de venir habiter avec sa famille en 1953.

Maison Prigent 5 rue de l'Ondine. Photo RF

 Edouard Prigent dans son bureau. Photo Gilbert Coutelier. Bretagne Plus

Dans le quartier de Robien, Édouard Prigent a pris une place importante en 1949 dans la lutte des lavandières du Carpont. (article à retrouver en cliquant ici ). Sur le même sujet, avec le Docteur Rahuel, il a interpelé très concrètement les élus sur la qualité de l'eau au niveau du Moulin au Chaix. Leurs habitants "ont rempli quelques bouteilles avec cette eau nauséabonde, et plusieurs membres du Conseil municipal, invités à mettre leur nez dans le goulot, n'ont pu supporter sans défaillir, de respirer plus d'une bouffée de ce liquide infect." (Ouest-France 18 juin 1952)

Édouard Prigent a été par ailleurs le Président de l'Association des Parents d'élèves des écoles de Robien dans les années 60. Cela lui permettait d'être au plus près des préoccupations quotidiennes des habitants comme on le découvre dans le compte-rendu d'une visite effectuée par M. Poupard, maire de Saint-Brieuc, à l'école de filles et à la maternelle de Robien. Édouard Prigent, en tant que Président, Louis Cabon, secrétaire et Mmes Daoulas et Lavanant, du bureau, ont pu à cette occasion faire entendre leur suggestions et revendications. (Ouest-France 5 février 1960)


Sources

Photo et informations du site Le Maitron, excellent site sur le mouvement ouvrier et social.

Articles de Ouest-France, 22 janvier 1957, 22 décembre 1960, 25 juin 1977, 13 juillet 1989, 8 novembre 1990, 19 février 1992, 3 mars 1992, 24 et 26 décembre 1992.

Article du Télégramme, 12 et 13 août 1989.

Entretiens et correspondances avec Christian Prigent.

 

A consulter

L'histoire du Parti Communiste à Robien, cliquer ici

Christian Prigent, écrivain, cliquer ici

 

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Si vous avez des éléments pour compléter cet article  (photos, témoignages...) merci d'utiliser le formulaire de contact en haut à droite...
 
 
 
 

L'histoire de la rue Cuverville dans le quartier de Robien à Saint-Brieuc.

 

Les origines de la rue Cuverville


Avant que le chemin de fer ne soit construit et avant de se nommer "rue Cuverville", elle était connue sous le nom de "Chemin des Régats". Mais on peut lire aussi dans ce secteur que plusieurs parcelles sont nommées "les rogatons" qui désignent des débris de nourriture, des restes de viandes et plus en général des restes ou objets de peu de valeurs...Il pourrait aussi s'agir d'une déformation du mot "rogations" qui désigne des cérémonies ayant pour but d'attirer les bénédictions divines sur les travaux des champs...

Le chemin des Regats était un chemin fréquenté pour sortir de la ville et aller à La Ville-Berno ou plus loin, pour se rendre à Quintin.

Au début de ce chemin on pouvait accéder au lieu-dit "Clos Launai" appelé aussi "Launay".

Rue Cuverville, vers 1800, avant la voie ferrée. Quartier gare 3Fi30 archives municipales

 

Au début du 19ème siècle, on trouve cette rue sur des plans avec le nom de « Route de Quintin ». 

C’était alors un axe important de Saint-Brieuc mais il y avait encore peu d'habitations le long de la route. Tout ce secteur est appelé "Pré-Tison".

1814-1847 Cadastre. Archives départementales



L'arrivée du train réduit l'importance de la future rue Cuverville

L’arrivée du train en 1863 va changer la physionomie de ce secteur de Saint-Brieuc pour les rues appelées aujourd’hui impasse du Pré-Tizon, rue Luzel ou encore rue Cuverville. 

A l’ouverture de la ligne de chemin de fer Paris-Brest, on construit un pont en granit. Trois voies passent en dessous. 

En 1908, un chemin existe toujours pour aller en direction du lieu dit "La Ville Berno" mais une voie coupe le chemin (voir le plan ci-dessous)


Plan 1908. Fonds Salaün. Archives départementales.

 

Dans les années 20, la multiplication des voies (7 au total) nécessite un élargissement. Entre 1924 et 1927, le dépôt des machines est par conséquent transféré du boulevard Charner à la Ville-Berno (à l'ouest de la rue Cuverville). La gare de triage est également située à cet endroit, au dessous de la rue Cuverville.
Cela va conduire à la démolition du pont en 1925-1926. On le remplace par un autre plus long, en ciment armé, semblable à celui de Guingamp construit à la même époque (1924-1925).

Image Google, capture d'écran

 

Les caractéristiques de la rue Cuverville

Pendant des siècles on a vécu dans ce secteur comme à la campagne. 

Dans le recensement de 1901, quelques familles vivent encore de la terre comme Pierre Desbois et son épouse Perrine, cultivateurs ou Victor Gourdel et son épouse Marie, leur fils et leur fille, qui cultivent aussi la terre.

A partir de l'arrivée du train, la rue Cuverville surplombe donc la ligne de chemin de fer. Au début du XXe siècle, de belles demeures vont être construites sur le côté gauche, côté impair, en descendant la rue. Ces maisons bordent la rue mais disposent en général de jardins de bonne taille sur l’arrière.

Les maisons bourgeoises de la rue Cuverville vues de la Ville Berno. Photo RF 2023

A partir des années 20, la physionomie va changer avec sur le côté droit, du côté pair, de petites maisons en préfabriqués construites pour les cheminots.

On trouve aussi depuis 1949 l’entreprise S.T.E.F (Société de Transports et d’Entrepôts Frigorifiques) qui est située en retrait de la rue, au numéro 22.

Image Google, capture d'écran

 

Les maisons de la bourgeoisie industrielle.

Les maisons bourgeoises sont habitées au départ par des personnes qui ont une place en vue dans la société bourgeoise et industrielle du début du XXe siècle. Certaines portent une plaque avec un nom comme au numéro 11 "La Villa Marie-Louise".

Ainsi dans les recensements de la rue Cuverville en 1931 et 1936, on apprend par exemple qu’au numéro 13 habite Jean Charleux, ingénieur aux Forges et Laminoirs. 

Un peu plus loin, les deux maisons jumelles et symétriques sont habitées au numéro 31 par Paul Lancol, belge, directeur des Forges et Laminoirs et au numéro 33, par Rosalie Vaucouleur, veuve Vaucouleur (ancien directeur des Forges). 

Au numéro 35, on a une très belle maison de 1910, construite par l'entreprise J. Laurent pour M. Pierre Pinel, ingénieur contrôleur des poids et mesures. La maison a ensuite été transmise à Félix et Berthe Marcadé,  Pierre Pinel étant le beau-père de Félix Marcadé. 


Plans de la maison de M. Pinel au 35 rue Cuverville.

En 1931, Eugénie Pinel, la belle-mère de Félix Marcadé habitait avec le couple et les enfants.
En 1936, Félix Marcadé est inscrit dans le recensement comme employé au comptoir de l’escompte, ancêtre de la banque BNP-Paribas. Il est né en 1886 à Corseul.

31 et 33 Rue Cuverville.


 



Le 35 rue Cuverville. Photo 2019

Précisons que les Forges et Laminoirs sont situés à quelques centaines de mètres de la rue Cuverville, entre la voie ferrée et le boulevard Hoche.

  

Les maisons des cheminots

Dans le recensement de la rue Cuverville en 1911, on a 7 familles de cheminots. En 1936, on trouve quinze familles de cheminots, logées dans les petites maisons SNCF. 


La photo aérienne ci-dessous est assez rare car elle dévoile une douzaine de ces maisons de cheminots le long de la rue Cuverville dans les années 40. On voit aussi les deux grandes cuves à eau de la S.N.C.F sur la gauche de l'image. Les enfants allaient s'y baigner en été !

Rue Cuverville, années 40. Photo Archives départementales.

Rue Cuverville. Les deux cercles sont deux cuves d'eau. Photo aérienne 6Fi 4349

Ancienne maison de cheminots. Photo RF


Maison rue Cuverville. 2T9 Permis de construire. Archives municipales

Les maisons de cheminots sont situées aux numéros 2, 4, 6, 8, 12, 14, 16, 18, 20, 22, 24, 26, 28, 30 et 32. 

Les noms de famille de ces employés des chemins de fer sont : Mallet, Foutel, Denis, Cléach, Lemoine, Réhaut, Le Ster, Le Hénaff, Ollivier, Le Gueut, Marric, Richer, Méléard, Frabolot… 

 

Ancienne maison de cheminots encore présente rue Cuverville. Photo RF

 
 

 

Ci-dessus, la maison du numéro 6 qui a disparu après 2010


Dans les années 40, un autre type de maisons a été construit pour les cheminots, il s'agit de maison jumelles en fibro-ciment. On les trouve par exemple au 28, 30 et 32 rue Cuverville. Elles étaient plus spacieuses, possédant des pièces à l'arrière.

Maisons jumelles S.N.C.F 28 et 30 rue Cuverville. Image Google street.

 

L’évolution et la fin des petites maisons
Yvonne Michel était une ancienne cheminote, elle est arrivée un peu après 1945 dans la rue Cuverville. Tout le monde était locataire de la S.N.C.F mais elle a eu la chance de pouvoir acheter le terrain de sa maison mais s’est battue longtemps pour y parvenir. Sa maison et celle de Joseph Prigent ont été les deux dernières à tenir debout.
Les pavillons jumeaux en pré-fabriqué sont la propriété de la S.N.C.F. ils ont été agrandis et rénovés.
Robert Picault habitait à l’intersection de la rue Luzel, c’était un ancien mécanicien des chemins de fer. Il a connu les derniers temps des locomotives à vapeur. A la retraite, il n’a pas pu acheter le terrain sur lequel sa maison est bâtie et à sa mort la maison a été démolie, c’était la règle.
De nouvelles maisons poussent sur les emplacements libérés après voir été vendus.

Maison de cheminot vue par une fenêtre. Ouest-France 24 octobre 1996

Nous avons un autre exemple d’un lotissement construit à Robien pour les familles de cheminots : c’est celui, construit en 1931, par l’architecte Jean Fauny, dans un espace délimité par le boulevard Paul Doumer, la rue Louis Hélary, la rue Anne de Bretagne et la rue Denis Papin.


Le saviez-vous ?

CHEMIN DE TRAVERSE
Pour aller travailler au dépôt, les cheminots avaient deux solutions. L’une consistait à traverser les voies en se méfiant des trains, l’autre nécessitait de marcher en passant par la Croix-Mathias.

Ouest-France 24 octobre 1996



LA PISCINE DE LA RUE CUVERVILLE

Dans un article de Ouest-France des années 90, un habitant, Louis Hellio, raconte que dans les années 40 « Il y avait de la vie dans la rue. L’été les jeunes les plus intrépides allaient se baigner dans les réservoirs d’eau qui servaient à alimenter les locomotives à vapeur. On les appelait « les deux cuves ». Elles ont été démolies plus tard. » 



HISTOIRE DE TGV

En 1996 (le 24 octobre), dans un article de Ouest-France, on pouvait lire que l’arrivée du TGV n’avait pas affecté la tranquillité des résidents du quartier. Par contre en gare la nuit, le bruit du TGV présentait une gêne car il était obligé de tourner pour la climatisation et le ronflement était « insupportable ». En 1994, une pétition avait circulé et le TGV était allé ronfler plus loin…


Le saviez-vous ?

Au début du XXe siècle, cette rue était prisée par les militaires. Ainsi dans le recensement de 1911, on trouve : Pierre Briand, adjudant au 71e RI,  François Beaumont, sergent major, Aristide Besson, officier en retraite, Marc Oblet, capitaine.

Quelques années plus tard, deux habitants de la rue Cuverville ont été tués pendant la Guerre 14-18 :
Albert Lefèvre, lieutenant au 412e régiment d’Infanterie a été tué à Villemontoire, le 21 juillet 1918.

Jean Carrière, sous-lieutenant au 271e Régiment d’infanterie a été tué au Moulin de Souain le 31 octobre 1914.

D'autres ont été blessé sérieusement comme M. Beaumont, dans un combat, également aux environs de Souain, proche de Reims.

Souain. Photo Fédération des Moulins de France

 

Les transformations de la rue Cuverville

Des maisons de cheminot de la rue Cuverville, il ne reste plus qu’une seule construction, les autres ayant été détruites et remplacées par des maisons contemporaines. Par exemple, dans le bas de la rue, derrière un grand portail et une haie, on peut découvrir une maison contemporaine très sobre, jaune et blanche.

Maison contemporaine. Photo RF


Toujours dans la rue Cuverville, au numéro 4, c’est une construction qui se distingue par sa géométrie : deux blocs rectangulaires, séparés par la porte d’entrée. Une seule ouverture côté rue, avec une fenêtre horizontale : la maison ne se dévoile que sur la partie Ouest.

Maison contemporaine rue Cuverville. Photo RF 2021


Aux numéros 10 et 16 de la rue, Terre et Baie Habitat a fait construire, en 2012-2013, la Résidence Cuverville qui domine la voie ferrée. On peut noter que les 8 logements passifs, très bien isolés, sont équipés de panneaux solaires et sont habillés de bardage bois.

Logements Terre et Baie Habitat. Photo RF

 

L’origine du nom de la rue Cuverville

Jules Cavelier (1834-1912), comte de Cuverville, naquit en 1834 à Allineuc (22). C’est un militaire et un homme politique. Sa carrière dans la marine lui vaut d’être nommé vice-amiral en 1893. Cuverville a été sénateur du Finistère de 1901 à 1903 puis réélu jusqu’en 1912.

Amiral Cuverville, photo site du Sénat.

Son fils Armand, capitaine de frégate, mourut en service commandé, au siège de Port-Arthur (en Chine), en 1904.

Notons qu’en 1912 la famille Cuverville avait fait savoir qu’elle ferait don d’une importante collection de coquillages, réunis sur plusieurs générations, à la section d’Histoire naturelle de l’ancien musée de St Brieuc. Sans attendre l’arrivée de cette collection, le nom « rue Cuverville » fut donné par délibération du Conseil municipal le 26 décembre 1912. Les coquillages arrivèrent plus tard.
Dans l’esprit du Conseil municipal, il s’agissait d’honorer à la fois le père, le fils et l’ensemble de la famille Cuverville.

De nos jours, l'arrière-arrière petit fils du comte de Cuverville est le propriétaire du château de la Noë Sèche dans la commune du Foeil, au sud de Saint-Brieuc. Arnaud de Rochebouët assure lui-même les visites guidées.

 

Le saviez-vous?

Le nom de Cuverville est aussi donné à l’île Cuverville, située dans l’Antarctique et nommée ainsi, après sa découverte par une expédition belge de 1897 à 1899, en honneur du vice-amiral Cuverville. L’île est peuplée d’une colonie de manchots papous !

Ile Cuverville. Image Secrétariat du Traité sur l'Antarctique

 

L'histoire d'un petit trésor qui dormait dans un grenier

Monika Marx (patronne de la Crêperie Bleu marine nous raconte une belle et véridique histoire !

« J’ai habité 9 ans la maison du 29 de la rue Cuverville. Au moment des travaux j’avais fait une grande découverte dans le grenier : une valise avec à l’intérieur des lettres, des photos de famille qui remontaient au siècle dernier. 

Les lettres étaient rangées par mois, classées, ficelées. Il y avait 4 ans de correspondances.
Je n’ai pas résisté, j ai lu ces lettres qui m’ont fait rire, pleurer, je suis remontée dans le temps, vécu la guerre, le voyage des cheminots qui allaient jusqu’à Rennes (très, très long voyage qu’il ne fallait pas faire avec une certaine lune). J’ai vécu la foire Saint Michel racontée par cette dame qui signait ses lettres par un baiser de rouge aux lèvres..."Ta Biquette" Elle racontait à son époux parti à la guerre comme elle l’aimait. qu’il lui manquait, que l’enfant qui était en elle comblait un peu son absence... Elle racontait comment elle soignait sa mère avec des ventouses dans le dos... Et j en passe ; toutes ces lettres, ces photos m’ont beaucoup touchée...

Les lettres de l’époux au front étaient aussi fortement aimantes et émouvantes. Sur une photo, au dos était noté « Morte en 1944 ». Là j’étais vraiment triste.

Je ne pouvais pas garder un tel trésor pour moi. J’ai donc recherché les héritières, ces chères filles qu’elle adorait. Une des filles vivait à Lille et l’autre à San Francisco... Quand je les ai contactées, nous étions en larmes... 

J’ai remis cette fameuse valise à Lille et quelques temps après elle me recontacte pour me dire que grâce aux lettres elles ont mieux connu leur Maman et elles ont vu comme leur Père les aimait... Elles ont étaient élevées par une belle mère qui n’aimait pas les enfants. Un passé est remonté à la surface.
Je crois avoir bien fait de leur avoir donné ce trésor qu’elles ignoraient...
» 



 

ORIGINAUX

Au 4 rue Cuverville, vivait un couple qui avait construit une cabane avec des tôles des planches. Ils avaient des poules, des chèvres... Ils vivaient là en période estivale et en hiver dans un immeuble à Fressinet. 

Ouest-France en a même parlé (24.10.1996) : "Au milieu de la rue Cuverville, côté SNCF, un petit terrain défi les passants mal intentionnés. Pas très bien entretenu, bourré d'un bric-à-brac invraisemblable, il est pourtant équipé d'un système anti-rodeurs à toute épreuve. un tableau en forme de cochon sur lequel est indiqué : "Je monte la garde, danger !". Ce drôle de gardien fait rire tous les voisins."


Photo Ouest-France 24 octobre 1996



Portrait : Louis et Marie-Louise Hellio 


Ouest-France 24 octobre 1996

 

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Sources

Site du Sénat, fiche Jules de Cuverville https://www.senat.fr/senateur-3eme-republique/de_cuverville_jules0800r3.html

Histoire des noms de rues. J.B Illio, 1947

Histoire de St Brieuc, J.B Illio, 1931, page 298.

Bulletin de la paroisse de Robien, 1919.

Photo aérienne, archives départementales, cote 26 Fi 358

Archives municipales St Brieuc. Cadastre. 


Plan 1800. Quartier gare 3Fi30 archives municipales
 

Article de Ouest-France, 24 octobre1996.

Site du CAR rubrique histoire, article sur les lotissements, sur les maisons contemporaines. Recensements de la population de St Brieuc, archives en ligne 1901, 1931, 1936

Site, Terre et Baie Habitat 2013

Témoignage Monika Marx, juin 2020

Ile Cuverville. Site du Secrétariat du Traité sur l'Antarctique, cliquer ici




 

 

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