dimanche 1 octobre 2023

Le Tertre Marie-Dondaine dans le quartier de Robien à Saint-Brieuc, un site à découvrir.


Le Tertre Marie Dondaine, dans le quartier de Robien à Saint-Brieuc c’est un site à découvrir, un lieu remarquable sur le plan géographique, un lieu chargé d’histoire, un lieu d’avenir !

 

Affiche Coccolithes pour la fête organisée sur le Tertre en 2019.

 

Quelques repères géographiques

Saint-Brieuc possède plusieurs points hauts, appelés Tertres : Le tertre Notre-Dame (appelé autrefois le tertre Buette), le Tertre aux lièvres  au dessus du Gouédic, le Tertre Aubé (proche de Rohannec)...

Le Tertre Marie-Dondaine, dans le quartier de Robien est aussi l’un de ces lieux remarquables.

Sur un plan ancien de Saint-Brieuc entre 1814 et 1847, on voit que cette zone ne possède pas de propriétés bâties, elle n’est constituée que de lieux dits qui portent le nom des champs ou des prés avoisinants : Le Pré Chênaie, champ sur les sentiers, les Prés Sots, les Petits prés…

Le point le plus haut est évoquée par ce qui est appelé le « Signal du Pré Tison ».

 

Plan 1814-1847. Archives municipales.

 

Dans l’étude des noms de lieux (toponymie), lorsqu’on trouve un Signal, il s’agit le plus souvent d’un point en hauteur qui correspond au « Signal de Cassini ». Un signal indique un lieu qui a servi à faire des mesures cartographiques de l'époque et Cassini est le nom d’une famille de géographes qui, sur quatre générations, se succèderont pour établir une cartographie entière de la France, appelée Carte de Cassini.

D'après l'historien briochin Jean-Baptiste Illio, une pierre rectangulaire, appelée "Signal" aurait servi de repère dès 1715 puis en 1805 pour l’établissement de la première carte topographique de la France, appelée « carte de Cassini ». Chaque borne située sur un point haut matérialise ce qui est appelée « signal de Cassini ».

 

Quartier de Robien en 1814, dans "Histoire de St Brieuc, J.B Illio"



Ci-dessous, cette carte générale de la France montre les principaux triangles qui servent à la description géométrique de la France, levée par ordre du Roi par Messirs Maraldi et Cassini de Thury, de l'Académie Royale des Sciences. Elle est datée de l'année 1744. (lien sur Gallica en cliquant ici)

Le point "T de St Brieux" pourrait être le signal du Pré-Tison


Plus tard, en 1925, l’évêque préside l’inauguration d’une croix dressée en retrait de la rue du Pré-Chesnay, tout à côté de la borne de Cassini. Mais cette borne disparaitra malheureusement en même temps que la croix au milieu des années 60.

 

Pourquoi ce nom de Marie-Dondaine ?

Dans un article de Ouest-France, du 31 octobre-1er novembre 1995, le journaliste pose la question à Marcel Blivet, un ancien habitant du tertre.

M. Blivet semble être la seule personne à se souvenir de l’origine de ce nom. Il fait remonter cette histoire au temps où ses grands-parents habitaient rue Luzel et où Auguste, son propre père né en 1900, venait jouer sur le tertre : «A cette époque, il y avait une femme ermite qui logeait dans un talus. Elle s’appelait Marie. Comme elle était de forte taille, tous les enfants l’appelaient la Marie-Dondaine. Les parents en avaient fait une sorte de croque-mitaine et interdisaient aux enfants d’y aller ». 

Dans les années 1920, on trouve cette appellation dans plusieurs articles de presse.

Par exemple, le journal La Croix des Côtes-du-Nord fait le compte-rendu de la fête patronale du dimanche 26 juillet 1925 et mentionne qu'après la bénédiction "la procession se met en marche vers le tertre bien connu de la Marydondaine".

Ce n’est que par une délibération du Conseil municipal du 19 juin 1967 que le nom de Tertre Marie-Dondaine est donné à cet espace.

 


L’espace naturel se réduit et la population du Tertre augmente

A la fin du XIXe siècle, le quartier change, en partie avec l'arrivée du train et de l’impressionnante usine des Forges-et-Laminoirs. 

En 1884, l'historien Jules Lamare se promène dans les parages et regardant vers le sud il est séduit par le Tertre : « Au-dessus de cette usine, à côté de son réservoir, est le point culminant du versant sur lequel la ville de Saint-Brieuc est assise. On y voit encore la borne qui servit, au commencement de ce siècle, aux opérations du cadastre.

De cette hauteur, l’œil embrasse les riches campagnes de Ploufragan, de Trégueux et de Langueux. À droite, on peut suivre le train de Pontivy, longeant le bois des Châtelets, et gravissant les premières pentes qui conduisent aux montagnes du Mené ».

Le Tertre est progressivement habité au début du XXe siècle avec la création de la rue du Pré-Chesnay qui le borde au nord. Cette rue a d’ailleurs coupé le Tertre en deux parties quand elle a été prolongée vers l’ouest. L’usine Glémot, construite en 1934, a également beaucoup changé la physionomie du tertre en occupant un point haut.


Photo aérienne 1946. Annotations RF

Sur le plan géographique le Tertre Marie-Dondaine a été modifié à deux reprises. D'une part quand une petite ligne de chemin de fer a été créée pour relier l'usine Sambre-et-Meuse et d'autre part pendant la Seconde Guerre mondiale où le tertre a été arasé par les troupes américaines qui ont installé des batteries anti-aériennes. De nombreux rochers ont alors disparu.

La photo aérienne ci-dessous montre assez bien qu'il y avait deux parois avec une saignée pour laisser passer la petite ligne de chemin de fer. Par la suite, d'autres terrains au sud de la voie ferrée ont été arasés et c'est ce qui donne cet aspect de falaises de nos jours. Plusieurs bâtiments ont été construits sur ces emplacements, une fois les terrains aplanis.

Avant on accédait au Tertre par de petits sentiers en pente douce. L'aspect était vallonné  de la rue Émile Zola en direction du tertre.

 

Photo aérienne années 40. Archives municipales


"Falaise" créée artificiellement entre la rue Emile Zola et le Tertre Marie-Dondaine

 


Dans l'herbe au pied de cette "falaise", jusqu'en 2022, on trouvait encore des vestiges de la voie ferrée qui passait là. Ces vestiges ont disparu depuis octobre 2022 malheureusement.

 

Morceau de rail. Photo RF

Morceau de rail. Photo RF


Trace encore visible de la voie ferrée, rue Émile Zola
 

Quelques maisons ont également été construites en partant de la rue Luzel et en remontant sur une cinquantaine de mètres. Une scierie était également présente dans les années 30 et jusqu’à la fin des années 40 mais il n’en reste presque rien. A la même époque, on trouvait une quinzaine d’habitations (dont une dizaine de baraques construites par le propriétaire de la scierie) et aussi des gens du voyage logeant dans des caravanes et dans des constructions légères.

 

La baraque de la famille Corack sur le tertre. Photo Claude Corack

 

Les habitants du Tertre recueillaient l’eau de pluie pour leurs besoins quotidiens. Dans les  années 60, la vie était encore difficile mais les habitants du Tertre avaient à disposition un point d’eau potable. Ce robinet, installé par la municipalité, était accessible à tous.  Une nouvelle maison en dur a été bâtie, elle était en partie basse électrifiée. Les premiers habitants ont été remplacés par d’autres qui n’avaient pas connu la misère totale, tous étaient partis au début des années 90.


Les différents projets d’aménagement : le Tertre Marie-Dondaine résiste

Le tertre a été occupé au XXe siècle mais pas par des habitations en dur. 

Si ce tertre est toujours à l’état naturel c’est parce que les différents projets d’aménagement de cet espace n’ont pas abouti. 

Pour commencer, en 1965, Édouard Quemper, l'adjoint au Maire de l'époque chargé des sports, prévoit de créer des installations sportives sur le Tertre.

 

Plan paru dans le journal municipal Le Griffon. 1966 numéro 4.


 

Puis un projet de groupe scolaire est conçu par la ville de Saint-Brieuc, mais rien ne sera fait...

Projet de groupe scolaire. Plan des archives municipales

Projet de groupe scolaire. Plan des archives municipales

 

Un plan de la ville de 1980 fait apparaitre une rue Marie-Dondaine qui traverse complètement le Tertre.


 

Les élus en visite. 1985

Au début de l’été 1985, les élus sont conviés par le Comité de quartier de Robien pour effectuer une visite sur le terrain. Le journal Ouest-France fait un compte-rendu et souligne que tertre Marie Dondaine constitue un point noir sur lequel le comité veut des réponses concrètes. 

Ses responsables affirment : « Le terrain a besoin d’un assainissement complet. Il devient urgent de démolir les cabanes en tôle et de débroussailler. Avant tout, nous demandons le respect de la propreté. Il ne faut plus que le Tertre serve de dépôt d’ordures. Par ailleurs, une partie du terrain qui appartient à la Ville est occupé par des nomades. Nous avons demandé que les services municipaux y apposent des panneaux interdiction de stationner. »

Les élus en visite sur le tertre, Claude Saunier et son équipe. 1985

 

Sur la photo ci-dessous, on aperçoit une baraque qui tient encore debout et la caravane de la famille Blivet.

Les élus en visite sur le tertre, sous l'oeil attentif du comité de quartier. 1985
 

Une cabane du Tertre en 1985.

 


Le tertre vidé de ses cabanes


Photo aérienne. Archives municipales

Photo aérienne. Archives municipales


Une opération d'urbanisation. 1987

En 1987, est lancée la création d’une Z.A.C (Zone d’Aménagement Concerté) à vocation de logements, d’activités commerciales et de bureaux. Michel Fraboulet, l'adjoint à l'urbanisme, déclare dans Ouest-France qu'il espère bien alors "redynamiser le quartier et transformer son image de marque par un habitat diversifié...". L'opération immobilière pourrait voir sortir de terre  entre quarante et soixante-dix logements. Des échanges de terres, sans expropriation, ont été réalisés par la municipalité. 

Devant une cinquantaine d’habitants de Robien, M. Morel, l'architecte de la Ville, présente le projet à la maison de quartier, un projet globalement accepté par le comite de quartier. La concertation fonctionne, tout semble en bonne voie...

 

Ouest-France 1988.

 

Mais quelques années plus tard, le projet lancé en 1987 et affiné plus tard, n’arrive pas à se concrétiser. Cette Z.A.C finit par être abrogée au moment de la révision du Plan local d’Urbanisme en 2013.

Maquette du projet de lotissement en 1995. Archives municipales.Photo RF

Maquette du projet de lotissement en 1995. Archives municipales.Photo RF
 

Marie-Dondaine : le tertre sauvage. Ouest-France 31 octobre 1995.


Un nouveau projet de lotissement communal est envisagé en 2016 mais il est aussi abandonné par une décision du Conseil municipal le 22 octobre 2018.

Cette décision fait suite à la démarche de labellisation EcoQuartier obtenue fin 2017. 

Tout ceci a remis progressivement en question le projet initial de lotissement, pour laisser place à un scénario prévoyant la mise en valeur du site, par un espace ouvert et partagé.


 

Le tertre aujourd’hui : Un milieu naturel bien préservé en ville


Le Tertre, été 2019. Photo RF

Ce qu’on appelle de nos jours le Tertre Marie-Dondaine est en fait une parcelle non construite qui fait près de deux hectares et demi.

Ce qui est frappant, c’est ce vaste espace d’herbe qui change de couleur au grès des saisons. L’herbe verte la plupart du temps mais qui se transforme en herbes hautes et jaunies quand vient l’été. Au milieu du terrain, il y a ce bois avec des pommiers, des noisetiers, des pruniers, des ronces et si on regarde de plus près des iris, des orchidées des prés…

 

Allée d'arbres sur le tertre Marie-Dondaine en automne. Photo RF 2020

Le haut du tertre Marie-Dondaine en automne. Photo RF 2020

Le petit bois du tertre Marie-Dondaine en automne. Photo RF 2020

Et si on se penche encore un peu plus vers la terre, que voit-on ? Des escargots, des limaces, des bourdons, des sauterelles…

La biodiversité n’est pas un vain mot sur le Tertre…

Depuis 2020, des aménagements ont été effectués en tenant compte de l'aspect naturel du site (présence de moutons, brebis et chèvres, ruches, bancs, reconstructions de murets...)

 

 

Le saviez-vous ?

Les anciens se souviennent des chasseurs de vipères du Tertre Marie-Dondaine. Dans les buissons et les talus de la butte, les plus courageux traquaient les plus venimeuses. Ces chasseurs improvisés les revendaient un prix d’or aux différents pharmaciens de Saint-Brieuc, intéressés par le précieux venin.


Un site à préserver

Ajoutons que, de par sa situation en hauteur, le site du tertre Marie Dondaine offre de nombreux points de vue sur la ville et les communes alentours dans cette partie sud de Saint-Brieuc

Vu d’en haut, le Tertre apparaît comme une curieuse petite tache verte au milieu des maisons et des voies de circulation, à proximité de bâtiments industriels imposants comme ceux de l’usine Manoir Industrie...


 

Une opportunité pour l’avenir du quartier

Le développement d’un quartier comme Robien ne peut se résumer pour les années à venir au développement de zones à construire. De nombreux logements individuels ou collectifs ont été réalisés et on peut s’en réjouir car ils permettent à une nouvelle population de se loger. 

Mais un quartier doit aussi préserver des espaces naturels, c’est ce qui sera laissé aux générations futures. Le tertre, c’est un espace de liberté où il pourrait y avoir des jardins partagés, des cabanes dans les arbres pour jouer ou pour lire, un espace de promenade, une petite ferme avec des animaux, des ruches, des pommiers, des œuvres d’art en plein air, une maison en bois comme dans les années 40, une buvette et de quoi faire à manger, des bancs, des lunettes panoramiques pour admirer la vue… Tout est encore à imaginer !

 

Ci-dessous, quelques images d'un projet d'aménagement du Tertre conçu par Bryan Morin, élève de BTS à l'école d'horticulture de St Ilan (22), sous la direction de ses professeurs Véronique Cadiou et Olivier Samica.

Projet de Bryan Morin, élève au lycée de St Ilan en 2019.

Projet de Bryan Morin, élève au lycée de St Ilan en 2019.

Projet de Bryan Morin, élève au lycée de St Ilan en 2019.


D'autres articles à lire au sujet du Tertre

Rubrique "Le passé ouvrier de Robien":  Les baraques du Tertre Marie-Dondaine ici

Rubrique "La paroisse de Robien", L'histoire du calvaire du Tertre Marie-Dondaine ici

Rubrique "L'habitat à Robien", Logements atypiques (les caravanes) ici

Les habitants du tertre, de nouveau réunis en juin 2019, ici

 

 

 

 Retour au sommaire, cliquer ici



Sources

Archives municipales, plan de 1804-1847

Site des Archives municipales en ligne. Collection du journal municipal Le Griffon.

Histoire de la ville de Saint-Brieuc, chapitre XII. Jules Lamare 1884

Histoire condensée et illustrée de notre cité gentille. Alain Le Duizet

Histoire de St Brieuc par J.B Illio, page 190. 1931

Histoire du Tertre Marie Dondaine. M. Claude Corack.

Article de Ouest-France juin-juillet 1985

Souvenirs de Marcel Blivet, recueillis dans un article de Ouest-France

Rapport sur l’EcoQuartier de Robien. Lisa Sherpa, 2018. Édition C.A.U.E

Projet de Bryan Morin, élève au lycée de St Ilan en 2019. Pour voir le site, cliquer ICI 

Projet des Coccolithes sur le site du Tertre en 2019. Pour voir le site, cliquer ICI

Rubrique "Tertre Marie-Dondaine" du site du Comité d'animation de Robien, cliquer ICI

 

 

L'habitat ouvrier à Robien, les baraques du Tertre Marie-Dondaine à Saint-Brieuc

 

Nous sommes à la fin des années 20 et dans la partie sud-ouest du quartier de Robien, il reste un terrain que les gens ont appelé « Le Tertre Marie-Dondaine ». Il est à peine habité et se situe entre les rues Luzel et Zola. Un secteur que l’on appelle « la rue des essences », où sont concentrés nombre de dépôts de carburants. Ce n’est pas l’endroit où les entrepreneurs vont se précipiter pour construire les nouveaux lotissements qui commencent à pousser un peu partout à Robien. Dans le secteur du Pré-Chesnay qui borde le Tertre au nord, quelques maisons sortent de terre. L’usine Glémot s’installe à proximité ainsi qu’une scierie qui occupe une bonne partie du bas de la butte. Sur le haut du tertre, on trouve une quinzaine d’habitations ainsi que des gens du voyage en caravanes ou dans des constructions légères. 

 

Les premiers habitations sur le Tertre Marie-Dondaine

Qui a construit les premières habitations sur le Tertre ? Ce serait M. Robert, le propriétaire de la scierie installée sur le Tertre qui aurait construit sur le même modèle les baraques pour loger ses premiers ouvriers. On peut donc considérer que  c'est une sorte de petit lotissement, comme il en existe dans le quartier de Robien, bâtis par des employeurs pour leurs ouvriers (Cheminots, Forges-et Laminoirs...). Les baraques en bois du tertre ont donc d'abord été étaient louées pour un prix modique aux employés de la scierie, et ces derniers ont été remplacés par d'autres personnes après quelques années. 

Un permis de construire de l'entreprise Nivet, de Robien, déposé le 4 janvier 1926, pourrait être le plus ancien document qui évoque une construction de baraque sur le Tertre (ou juste à côté). L'entreprise Nivet effectue ces travaux pour le compte de Mlle Hinault, "Chemin du Tertre Dondaine". La baraque fait trois mètres sur trois, avec une fenêtre sur le côté et une porte en façade, un wc sur le côté. La seule restriction à l'implantation de cette baraque sur le Tertre réside dans la mention "sur un terrain appartenant à M. Oisel, chemin du Tertre Dondaine" car des terrains de M. Oisel se situaient dans ce qui est la rue du Pré-Chesnay de nos jours, donc pas tout à fait sur le Tertre... Il est d'ailleurs précisé que "dès que les canalisations d'eau et d'égout seront prolongés jusqu'à sa demeure, Mlle Hinault devra l'y faire relier par des branchements spéciaux". Cette remarque montre bien que ce n'est pas tout à fait sur le Tertre où les habitants n'avaient pas de branchement d'eau...

Mlle Hinault 1926. Permis 2T9 Archives municipales

 

Nivet 10 mai 1925 Ouest-Eclair

Ces baraques figurent bien dans des documents officiels, comme ci-dessous sur ce plan de 1935 sur la densité des habitations à Saint-Brieuc. Chaque baraque est représentée avec précision sur le plan.

Plan 1935, densité de la population. Archives municipales 5Fi188



Portraits d'habitants du Tertre

Aucun de ces travailleurs pauvres n’avait  d’attaches à Saint-Brieuc, tous avaient été attirés par le travail qu’on pouvait trouver en ville dans les années 30. Leurs revenus ne leur permettaient pas de prétendre à mieux et, le temps passant, les habitants se sont habitués à vivre là, puis d’autres sont venus les remplacer.

Prenons un premier exemple, celui de la famille Herviou : Jeanne est venue du Finistère où elle était ouvrière agricole ;  Yves, le père de famille, avait trouvé un travail comme manœuvre à la menuiserie Robert, sur le Tertre. Après, Yves Herviou a été embauché aux Forges-et-Laminoirs puis dans l’entreprise de construction Jouan et Zocchetti. Jeanne travaillera dans une crèmerie.

Mme Herviou en 1991 devant sa baraque sur le Tertre. Ouest-France mai 1991

Un autre exemple, avec quelques similitudes, est donné par Claude Corack : « Mon père était un immigré yougoslave. Ma mère ne parlait que le breton et ne maîtrisait pas le français. Elle avait travaillé à partir de 7 ans dans les fermes des environs de Guingamp et n’avait jamais fréquenté l’école. Elle travailla ensuite à St Brieuc aux Forges-et-Laminoirs. C’est là qu’elle rencontra son futur mari qui travaillait dans cette usine. Ils s’installèrent sur le tertre, n’ayant trouvé que ce refuge pour les accueillir avec les nombreux enfants nés de mariages différents. »

Famille Corack, sur la droite une des baraques. Photo Claude Corack

Dans les deux cas, nous avons à faire à des travailleurs pauvres sans qualifications et à des déracinés. Parmi les chefs de familles recensés sur le Tertre, nous avons ainsi Joseph Herviou, employé à la scierie Robert, Jean David, employé aux Forges-et-Laminoirs, Eugène Le Bert, mécanicien ; Edouard Gombert, manœuvre, Pierre Le Beuvant, manœuvre ; Benoit Minier, cimentier.

Ce sont des personnes qui veulent vivre de leur travail et qui ne demandent aucune aide, ni à l’état, ni à la municipalité. Ces habitants s’organisent entre eux. Ainsi, ils défrichaient cette mauvaise terre pour s’y installer, ils récupéraient des matériaux pour construire les enclos de leurs animaux et  leurs petites dépendances. Ils ont même réussi à faire pousser du blé.

 

Des habitations rudimentaires

Claude Corack a écrit ses souvenirs pour que l’on n’oublie pas ces habitants du tertre. Il nous donne une description précise des habitations et de la vie dans ces baraques : « J’ai vécu difficilement sur ce caillou abandonné jusqu’en 1959, dans une baraque en bois de quatre mètres sur neuf environ, couverte de tôles sans aucun confort, sans eau, sans électricité, sans toilette. Les murs composés de planches disjointes par le temps, laissaient passer la bise du nord. Deux pièces d’environ quinze mètres carrés, chacune séparée par une cloison en bois percé d’une ouverture permettant le passage de l’une à l’autre ; je partageais cet espace avec mes parents et mes nombreux frères et sœurs. Six personnes cohabitaient… Deux fenêtres de six grands carreaux chacune autorisaient la lumière du jour à pénétrer à l’intérieur. Parfois un vieux manteau servait de double rideau lorsqu’il n’était pas nécessaire comme couverture sur un lit. 

        Intérieur de la baraque de la famille Corack lors d’une fête. A gauche, porte de communication.

 

Une porte permettait l’accès à ce gite sommaire que l’on gagnait de l’extérieur en grimpant quatre marches en ciment. 

Famille Corack. On voit bien les marches d'accès à la baraque.

Un fourneau servait à cuire les aliments et chauffait le logis, l’hiver comme l’été. Le soir, une lampe à pétrole allumée tardivement par soucis d’économie, donnait naissance à des jeux d’ombres étonnants. La nuit le fourneau s’éteignait, il faisait souvent très froid. Les mois d’hiver, il était courant de casser la glace formée sur la réserve d’eau contenue dans nos seaux. Mon père se levait le premier, allumait le foyer qui enfumait toute la maison et mettait de l’eau à bouillir pour faire le café. Ensuite, dehors, il procédait à sa toilette, torse nu… Dehors, une cour entourée de piquets en bois et grillagée, permettait de parquer quelques poules, parfois un cochon et, toujours, des lapins. Ce petit monde complétait, avec les pigeons, l’univers de la famille…Il y eut même, à une certaine époque, un âne gagné par mon père à une loterie. »

La famille Corack, dans la cour avec les poules et lapins.

 

Les habitants du tertre à partir de 1940 et après 1954.

La liste des habitants du Tertre a été établie par des habitants de celui-ci, Claude Corack et sa sœur Paule, cette liste a ensuite été rectifiée ou complétée par Mme Herviou.

Les baraques du tertre, agrandissement d'une photo aérienne des années 40. Archives municipales.

 
 
Habitants du Tertre de 1940 à 1947

Une distinction est faite entre "les baraques", en bois, construite par le patron de la scierie et "les habitations", en dur et électrifiées, comme celle du contremaitre de la scierie M. Roy.

Baraque n°1 : Famille CORACK Paul le père, Henriette la mère, Eliane. Marguerite. Lebourhis Claude, Henri, Ernest. De 1947 à 1959 : Paul et Henriette et leurs enfants Claude, Henri, Ernest, Paule

Baraque n°2 : Famille LEBERT Eugène, le père ; Agnès, la mère et Jean et Eugène, les 2 enfants.

Baraque n°3 : Madame LEBAIL puis Nathalie BEAUGARD et sa fille

Baraque n° 4 : M et Mme CHAUVIN

Baraque n°5 : M et Mme CORSON (puis M et Mme Ménec et leurs deux enfants)

Baraque n°6 : ?

Baraque n°7 : M. ALANO dit BOUBOULE

Baraque n°8 : M et Mme Rot

Baraque n°9 : M Joseph HERVIOU et Marie Herviou et leurs filles Marguerite, Janine, leur fils Pierre.Le chef de famille est manoeuvre à la scierie Robert.

Habitation n°10 : Benoit Minier « le père Minier »

Habitation 11 : Monsieur Barbé

Baraque n°12 : Mme PASQUIER et sa fille

Baraque n°13 : Mme PIGNARD dite PINARD (Une femme baptisée « la mère Pinard).

Habitation en dur n°14 : M et Mme ROY et leurs 3 enfants, Jean Yves, Loïc et une fille.

Habitation n°15 : M et Mme COGUIC et leurs enfants dont Jacky et Claude.

Et dans l’ancien transformateur, M. Bodur. 

Les relations n'étaient pas toujours au beau fixe comme on peut le constater dans cet article du 14 octobre 1941 où Mme Blivet a donné des coups de sabots à Mme Nicolas qui a été blessée. Cette dernière a déposé plainte...

Tertre Marie-Dondaine. Ouest-Eclair 1941

 
11 février 1941 Ouest-Eclair

Habitants du Tertre après 1954

Liste nominative dressée de mémoire par Paule Corack :

Baraque n°1 : Famille CORACK ;
 Baraque n°2 : Famille LEBERT puis Famille LHERMITE ;
 Baraque n°3 : Famille Novak. Chauvin. Cosse ; 
Baraque n°4 : Famille LAUTRU Albert ;
 Baraque n°5 : Famille LAUTRU (Yveline née en octobre 54) ;
 Baraque n°6 : Famille ALANO ;
 Baraque n°7 : Famille CRENN ;
 Baraque n°9 : Famille HERVIOU ;
 Habitation n°10 : Famille REUX ;
 Baraque n°11 : Famille DUBOIS ;
 Baraque n°12 : Famille PASQUIER ;
 Baraque n°13 : Famille PIGNARD ;
 Habitation n°14 : Famille ROY puis Henri Corack et Julienne le Tyran ; Habitation n°15 : Famille COGUIC ; Ancien transformateur Famille BODUR.
Dans la presse locale, on trouve d'autres noms de familles dont les enfants sont nés au Tertre : Germaine Sheibel, avril 1952, Patricia Dubuisson août 1954, Lucien Chauvin septembre 1956...

Proches de la rue Luzel, construction de maisons nouvelles en dur, avec eau et électricité, en 1955 Famille MILLET 
et en 1964 Famille MARQUER.


Famille Corack, vue de la façade en bois. A droite de la porte, la bassine pour se laver à l'extérieur

 

Les gens du voyage, la famille Blivet

Sur le Tertre Marie-Dondaine, il y avait quinze baraques mais aussi des caravanes et des constructions légères des gens du voyage, dont la famille Blivet.  

Auguste Blivet, le père, est né le 5 septembre 1900 à Saint-Brieuc, il était rémouleur de son état mais faisait aussi des petits boulots. Dans les années 20, il est dans la région de Lorient. Un triste fait divers, publié dans Ouest-Eclair le 28 décembre 1926, montre à quel point il était dans le dénuement : "C'est un maçon, Auguste Blivet, 27 ans, habitant une roulotte, qui fut tenté par les choux d'un cultivateur voisin. il en pris six. C'est un pauvre hère, malade, père de trois enfants, qui plus est en chômage. Le tribunal le condamne à 15 jours de prison".

Arrivé à Saint-Brieuc, Auguste Blivet partait du Tertre pour parcourir les Côtes-du-Nord et aiguiser les faux des paysans, les ciseaux et couteaux des fermières. Son épouse, Germaine Clochefer (1893-1987), est née le 19 novembre 1893 à Saint-Germain-de-Coulommiers, avant de se marier elle exerce la profession de foraine et acrobate et son père est artiste de cirque. Elle était appelée "Palmyre".(Fiche sur Généanet, cliquer ici)

Auguste Blivet. Acte de naissance 5 septembre 1900 Saint-Brieuc

Ils se sont mariés à Dinan le 22 octobre 1923.

Auguste et Germaine Blivet ont acheté le terrain en haut du Tertre en 1927. Ils ne souhaitaient plus vivre dans leur roulotte et parcourir les routes toute l’année. Dans le recensement de 1936, 7 enfants sont inscrits, Claude, acrobate, né en 1919 à Dinan ; Marcel, né en 1924 à Lorient comme François en 1925, Auguste en 1927 ; Désiré est né en 1929 à Saint-Brieuc comme Germaine en 1931 et Élie en 1933. Plus tardivement, on trouve l'annonce d'autres naissances dans la presse : Françoise Blivet, avril 1948 ; Violette Blivet, mai 1951.

Claude Corack se souvient qu’un tournage de France 3 Bretagne a été diffusé sur ce personnage dans les années 1960. « Pour la petite histoire du Tertre Marie-Dondaine, Auguste nous faisait un exercice de cirque, rien que pour les mômes du tertre. Il était enchainé et réussissait à s'extraire de ses chaines. Ensuite, torse nu, il s'allongeait sur le sol, un bohémien plaçait sur son torse un gros morceau de granit, un autre prenait une masse et cognait pour fendre en deux cette pierre ».

Marcel Blivet est né en 1924 à Lorient, il n’avait que trois ans quand ses parents se sont installés sur le Tertre. Marcel ira à l’école du quartier, l’école Guébriant.

Au début des années 90, il y avait trois caravanes en haut du Tertre. La plupart des Blivet sont partis, il faut dire qu’ils étaient nombreux, Marcel Blivet a eu 16 enfants ! Seuls sont restés dans les caravanes sa fille, son fils, deux de ses frères et les neveux et nièces.

Les trois caravanes ont dû bouger un tout petit peu plus loin pour tenir compte des projets de l’époque de la municipalité, le reste du tertre ayant été alors complètement rasé des baraques. Avec la famille Blivet, la Ville a procédé à un échange de terrains et il a été question à un moment de construire une petite maison, ce qui aurait ravi Mme Blivet, prête à troquer sa caravane pour une habitation de plain-pied. « En tout cas, maison ou pas, hors de question qu’on aille dans une H.L.M ! A notre âge, on ne bougera plus d’ici », déclara M. Blivet au journaliste de Ouest-France qui l’interrogeait en mai 1991.

 

M et Mme Blivet en 1991 dans leur caravane sur le Tertre. Ouest-France mai 1991


Portrait de Marcel Blivet dans Ouest-France. 1995

 
Marcel Blivet et son épouse (décédée le 1er août 1987 à l'âge de 93 ans) reposent au cimetière de l'Ouest à Saint-Brieuc. On reconnait facilement la tombe familiale car c'est un monument de marbre qui abrite différents objets et souvenirs, à la manière des "gens du voyage".
 

Tombeau de la famille Blivet. Cimetière de l'Ouest à Saint-Brieuc. Photo RF 2021

 

Une micro société bien organisée

Les habitants du Tertre recueillaient l’eau de pluie pour leurs besoins quotidiens. Un point d’eau collectif existait mais à quelques centaines de mètres de là. En ce qui concerne les nombreux enfants du quartier, ils fréquentaient l’école publique Guébriant et pour les plus croyants, l’église de Robien. Il y avait aussi de bons côtés à habiter sur le tertre, les terrains regorgeaient d’arbres fruitiers  et à la belle saison tous les enfants y étaient perchés.

 

Parole d’habitant

Mme Herviou : « Quand j’étais à l’école rue Hoche, on revenait par le chemin du Coucou. Il n’y avait que des jardins dans ce coin là. Sur le tertre, quand j’étais jeune, on allait rue Luzel pour chercher l’eau. »

 

 

Claude Corack  témoigne d’une vie difficile dans les années d’après-guerre  mais également d’une vie où des exemples de solidarité sont à souligner : « Le Tertre Marie-Dondaine reflétait la vie. Certes une pauvre vie pour les gueux qui demeuraient en ces lieux mais il faut le dire cette partie du quartier de Robien en Saint-Brieuc était  très vivante.

Le  tertre était bien vivant, tout comme il l’était, quant mon père servait d’interprète au sein du camp de transit de prisonniers de guerre de Robien. Les baraquements de ce camp étaient placés à l’emplacement de la salle des fêtes actuelle. Il ramenait souvent à la maison des gens plus pauvres que nous puisqu’ils avaient perdu leur liberté. Devant un verre de vin et plusieurs parfois, ils entonnaient des chansons qui les rapprochaient de leur pays. C’était pour la plupart des slaves et je garde en oreille leur voix grave. »

Les habitants du tertre vivaient à proximité de l’usine Glémot, et le patron de l’usine n’était pas indifférent à leur sort. « Monsieur Glémot, patron de cette usine, ému par notre détresse et notre pauvreté, avait donné comme consigne à son contremaitre de nous doter de sandales et de les échanger dès qu’elles étaient usées. Les gosses du tertre ont profité très souvent de cette largesse ».

 

 

Parole d’habitant

Claude Corack : « Sur le tertre les services sociaux ne venaient pas, la police non plus ! »

 

 

L’évolution du Tertre-Marie Dondaine

 

Claude Corack explique ainsi l'évolution du Tertre :

"Il y a eu deux périodes différentes pour les habitants du Tertre : l’une allant de 1940 à 1956 et une autre moins difficile, après cette date car la ville  a mis à disposition un point d’eau potable sous la forme d’un robinet accessible à tous. Avant cette installation il fallait recueillir l’eau de pluie pour les besoins quotidiens. D’autre part il y a eu une nouvelle maison en dur, en partie basse électrifiée, ce qui entraînera des modifications sensibles notamment sur l’accès au tertre. Enfin, les premiers habitants ont été remplacés par d’autres, non fortunés mais qui n’avaient pas connu la misère totale. Certaines baraques ont été vendues, par exemple M. Riou en a acheté une et il louait à notre famille. Certaines maisons ont été isolées pour protéger du froid, dans les années 60 ». 

Les baraques du tertre, dessin de Jean-Pierre Marquer. 1979

 

Mme Jeanne Herviou a été la dernière habitante du Tertre au début des années 90. Elle aura habité cinquante-sept ans dans sa baraque, tout en haut du Tertre, au milieu de son lilas, de son jardin-potager. Elle vivait seule les dernières années mais pas sans la visite de ses quatre filles, de ses onze petits-enfants et deux arrière-petits-enfants. 

Mme Herviou raconte que, jusqu’au bout, elle s’est honorée à régler consciencieusement sa location de 30 francs par trimestre qu’elle versait à la Ville. Cela pose la question de l'appartenance de ces baraques. La ville en avait-elle racheté ? On sait par ailleurs qu'au décès du propriétaire de la scierie qui avait fait construire ces baraques, c'est sa femme, Mme Robert, qui venait chercher les loyers. 

Mme Herviou, la dernière habitante du Tertre en discussion avec les élus avant son relogement.

Les descendants de la famille Blivet habitent toujours sur une partie du Tertre sur un terrain dont l’accès principal a longtemps été la rue François Merlet.
 
Invités par le Comité de quartier de Robien à se retrouver en juillet 2019, des habitants du Tertre ont répondu à l'appel.
 
Mme Marquer, son fils Jean-Pierre, Paule Corack, M. Lautru...

 

 

Sources 

Histoire du Tertre Marie Dondaine. Claude Corack 

Nombreuses correspondances avec Claude Corack en 2019 et 2020.

Entretien avec Jeanine Lautru (née Herviou) le 12 juin 2019. 

Permis 2T9, Mlle Hinault 1926 Archives municipales.

Plan 1935, densité de la population. Archives municipales 5Fi188

Recensement 1936. Archives départementales.

Souvenirs de Marie et Marcel Blivet, recueillis dans un article de Ouest-France, 3 mai 1991

Portrait de Mme Herviou, dans un article de Ouest-France, 3 mai 1991


 

D'autres articles à lire au sujet du Tertre

Rubrique "La paroisse de Robien", L'histoire du calvaire du Tertre Marie-Dondaine ici

Rubrique "L'habitat à Robien", Logements atypiques (les caravanes) ici

Rubrique "Espaces naturels", Le tertre Marie-Dondaine, un site à découvrir ici 

Les habitants du tertre, de nouveau réunis en juin 2019, ici

La scierie Robert sur le tertre, ici


 

A lire sur le même sujet de l'habitat ouvrier à Robien et sur les lotissements ouvriers. 

 
 
 
 
Retour au sommaire, ici 
 
 
 
Documents 
 




L'histoire du quartier de Robien à Saint-Brieuc. Sommaire

Le quartier de Robien à Saint-Brieuc s’est vraiment peuplé il n’y a pas plus d’un siècle, mais son histoire présente de multiples intérêts...