samedi 23 décembre 2023

Le Théâtre Mouton, théâtre forain itinérant en Bretagne jusqu'en 1914

 

Théâtre Mouton avant 1900. Photo Jean-Pierre Bernardon

Le théâtre forain ambulant est une forme d’art qui s’est développée en dehors du théâtre classique. Emportant des troupes d’acteurs dans les campagnes et les villes, la Bretagne en accueillera régulièrement aux 19e et 20e siècles ; nous en avons conservé la trace et l’histoire comme pour Le Théâtre de l'Espérance de la famille Audroin. Le théâtre Mouton fait aussi partie de ceux-là, avec une tradition transmise d’une génération à l’autre. 

 

Le théâtre en Bretagne

Avant d'explorer l'histoire du Théâtre Mouton, voyons ce qu'était le théâtre au XVIIe siècle, plus particulièrement en Bretagne. 

Au XVIIe siècle, une ville comme Rennes ignorait encore ce qu’était une troupe de théâtre sédentaire. Il en allait ainsi des autres villes des provinces de France qui ne connaissaient « que des acteurs nomades réunis en Sociétés ou Compagnies que l’on désignait sous le nom de troupes de campagne. Les comédiens étaient appelés « comédiens de campagne » (1). Ainsi Molière arriva à Nantes le 23 avril 1648 et y donna quelques représentations. La première troupe dont on trouve la trace à Rennes arriva en 1606.


A l'origine du Théâtre Mouton : 1ère génération avec Louis et Lise Mouton.

Romain Mouton raconta dans l’édition de Ouest-France du 17 juin 1954 que son plus lointain  ancêtre "débuta sous François 1er, en 1524, comme bateleur, acrobate de l’époque".

Louis Joseph Mouton (1786-1835) et son épouse Lise Étienne Larivière (1792-1881) font du théâtre dans le style de Molière et l’hiver ils restent à Paris. Louis Joseph Mouton jouait avec François Lamberty dans les années 1810-1835. (2)


La famille Lamberti constituait une famille de cirque italien qui serait arrivée en France sous Louis XV pour divertir les châteaux avec leur troupe d’acrobates et de bateleurs. Plus tard, ils ont francisé leur nom en Lamberty avec un Y.  Le Théâtre Lamberty était un théâtre de pantomime où les acteurs prenaient des poses pour réaliser ce que l’on appelait des tableaux vivants. Il est devenu par la suite le Théâtre Lamberty-Berthier puis avant 1914, avec Gaston Lamarche qui y a introduit la comédie, le Théâtre Populaire National Lamarche-Lamberty. (2)

Photo ci-dessous : Angélique et Abel Lamberty dans un tableau typique de l’après-guerre de 1870 : l’Alsacienne prête à venger le soldat français. C'est un tableau qui préfigure certains monuments aux morts de 14-18.
 


La famille Lamberty est restée dans cette tradition du théâtre ambulant jusqu'en 1968.

Photo du Blog de la famille Lamberty, branche évangélique tzigane.

 

2ème génération, François et Catharina. Théâtre itinérant 1846-1870

Un des fils, le plus jeune, François (1826-1875), né en 1826 à Angoulême, a la fibre théâtrale. François Mouton est à l'époque un des rares directeurs privilégiés de France, un droit qui a été aboli par la suite en 1863 (3). Il exerce comme directeur de théâtre à Brest, Lorient, Rennes etc.

Puis, en 1846, François épouse Catharina Philiberta Bouwmeester (1825-1885) de Rotterdam. Elle vient d’une famille d’artiste. Ils passent alors au théâtre forain et dirigent une structure démontable. Ils sont totalement itinérants pendant plusieurs décennies. Il exerce leur art dans le sud-ouest.

La Guerre de 1870 ruine le cirque Mouton, et, en 1871, François Mouton vend ses chevaux, monte un théâtre et prépare le drame et la comédie.

François décède à sur le Champ de Bataille (champ de foire) à Quimper le 14 août 1875 et en 1875, son épouse Catharina et son fils Romain reprennent la direction du théâtre.

Les tournées continuent comme en 1879 où le Théâtre Mouton se produit aux foires de Rennes, avec ce qui est alors appelé « Le Théâtre moral ». 

Nous possédons un document des Archives municipales de Rennes qui atteste de cette présence avec le demande formulée par Catharina Bouwmeester au Maire de Rennes.


Fougères, le 28 août 1879
Monsieur le Maire,

Les exigences du voyage jointes au désir que j’avais de revoir notre chère Bretagne m’ont ramené dans la contrée.
Je serais très heureuse de faire les prochaines foires de Rennes, aussi je prends la liberté de vous adresser la présente demande de  place, comptant sur la bonté que vous n’avez jamais cessé de témoigner à la famille Mouton.
L’emplacement dont j’aurais besoin pour mon théâtre serait de 30 mètres de longueur sur 8 mètres de profondeur ; je désire aussi placer un tir de 4 mètres de large sur 7 mètres de profondeur.
J’ose espérer Monsieur le Maire que vous voudrez bien m’accorder la bienveillant appui de votre haut patronage pour l’obtention de ces deux emplacements, près l’un de l’autre et à l’endroit le plus favorable.
Dans l’espoir que ma demande recevra comme par le passé un sympathique accueil.
Je vous prie d’agréer Monsieur le Maire, avec mes remerciements, mes plus respectueuses salutations.
Veuve Mouton, Directrice du Théâtre Moral à Fougères.


La réponse favorable de la Mairie ne se fait pas attendre, elle est datée du 30 août 1879. Les services de la mairie précisent que la foire de 1879 commence le dimanche 28 septembre, l’emplacement est situé Place de la Gare et trente francs d’arrhes sont à verser en mandat-poste.

1879 Archives de la Ville de Rennes

Comme tous ces théâtres, le fonctionnement est familial avec une douzaine de personnes dans la troupe dont Abel ; Romain Jeanne Marie Louise Mouton (artiste d'agilité et artiste lyrique) mariée avec Francis Beedle (gymnasiarque) ; Joséphine Mouton (artiste d'agilité) mariée avec Lucien Mansard (artiste d'agilité et écuyer) ; Pierre (artiste dramatique), Hélène Mouton (artiste lyrique)... 

Francis Beedle et Jeanne Mouton, épouse Beedle. 1880 Jean-Pierre Bernardon

Ce que l'on ne sait pas, c'est si ce théâtre avait une base, à quelle cadence il donnait ses spectacles et s'il se produisait en dehors de l'Ouest de la France...


Ci-dessous, cette photo du Théâtre Mouton au 19e siècle (4) nous donne une idée de la structure du chapiteau et de l'organisation du Théâtre itinérant. Loli Jean-Baptiste, doctorante en arts du spectacle à l' Université de Franche-Comté nous en dit plus sur ces théâtres : « Imaginez une construction imposante, rectangulaire, faite de panneaux verticaux en bois, de dimensions variables. (12 à 30 mètres de long et jusqu’à 10 mètres de large, pour les plus grandes). Au centre de la façade se trouve « le contrôle » un espace réservé à la billetterie, et à l’entrée du public. Le contrôle est toujours soigneusement orné de l’enseigne portant le nom de la famille. A côté de cela, autour de la « baraque », on peut voir s’installer les caravanes d’habitations, ainsi que le convoi.

À l’intérieur de la salle, la scène se dresse sur l’un des côtés. L’espace principal est composé d’un plancher incliné rempli de gradins, ou chaises de confort variable pour accueillir le public. En fonction de la taille du dispositif, la salle accueille de 200 à 1000 spectateurs.
» (5)

Photo Jean-Pierre Bernardon dans le Facebook "Forain d'autrefois" novembre 2023

On peut comparer le chapiteau du Théâtre Mouton à celui d'un autre théâtre forain, le Théâtre Taburet-Berthier, photographié ici en 1930.



3ème génération, Abel et Romain. 1885

Catharina décède le 1er novembre 1885 et ce sont les deux fils, Abel (1863-1934) et Romain (1850-1941), qui prennent la suite. Toute la famille participe de l'installation du théâtre jusqu'au spectacle.

Romain Mouton était le troisième des neuf enfants, tous élevés dans le cirque. A 5 ans, il paraissait déjà sur les planches et gagnait sa vie comme ses frères et sœurs. Il n'avait pas appris à lire, ce qui ne l'empêcha pas d'apprendre tous les rôles du répertoire théâtral dans des registres différents comme la comédie, le drame ou le mélodrame.

Romain Mouton 14 janvier 1939 Ouest-Eclair

Romain Mouton exercera comme directeur d'une troupe d'acteurs, dans un premier temps avec sa mère, pendant plus de cinquante années. « Dans la famille, il fallait être artiste lyrique ou dramatique et acrobate », avait-il expliqué. Sur la scène du théâtre, la famille Mouton produisait un spectacle avec drames, vaudeville, numéros d'équilibristes, de gymnasiarques, de magie. Certains numéros auraient tout aussi bien avoir eu leur place dans un cirque. D'ailleurs François Mouton (le père) était clown en plus de sa fonction de directeur du théâtre et Romain était acrobate.

La famille donna des représentations dans toute la France, en Espagne, en Italie, en Allemagne et en Belgique.

Le 7 septembre 1887, Romain, âgé de 37 ans et veuf depuis 1879, épousait son élève de gymnastique et lui apprenait la comédie.

Le Théâtre Mouton semait partout la générosité à l’égard notamment des Bureaux de bienfaisance. Romain Mouton déclarera : "J’ai donné plus de cent représentations au profit des oeuvres de bienfaisance, pour les sinistrés lors d’incendies ou d’inondations et je versais un dixième de la recette au bureau de bienfaisance des villes traversées".

La famille Mouton se sédentarise en Bretagne dans la deuxième moitié du 19e siècle. Le Théâtre de Romain Mouton s’installe à Saint-Brieuc. Plusieurs membres de la famille Mouton vont naître, se marier et décéder en Bretagne :

Jeanne, Marie Louise Mouton, née en 1848, se marie avec Francis Wilkes Beedle à Dinan le 6 mars 1872. Son mari est d’origine anglaise et il exerce comme gymnasiarque (professeur de gymnastique).

Adèle Beedle va naitre sur la fête d’hiver à Rennes en janvier 1873

Catharina, mariée avec François Mouton, décède Place Duguesclin à Saint-Brieuc le 1er novembre 1885, à l’âge de 60 ans. La Place Duguesclin était à l'époque le lieu où se produisaient les cirques et les théâtres forains. 


 

La fin du Théâtre Mouton

Au moment de la mobilisation en août 1914, la famille Mouton se trouvait à Pont-Aven et devait se rendre à Nantes. A Quintin, la troupe dut se dissoudre et le matériel fut remisé.

En 1915 Romain Mouton s’installe place Duguesclin à Saint-Brieuc.

Marchands ambulants sur la place Duguesclin à Saint-Brieuc.

Plus tard, Romain Mouton obtient de M. Servain, maire de Saint-Brieuc, l’autorisation de monter une baraque à frites place de la Gare.

Il faut avoir de bons yeux, mais les deux personnes au premier plan dans le square devant la gare sont assurément M et Mme Mouton !

Le décès de Romain Mouton, appelé "Le père Mouton", est marqué par la publication de plusieurs articles dans la presse locale.

Ouest-Eclair 14 octobre 1941
 

De son côté, la branche Jeanne Marie Louise Mouton (née en 1848) exercera aussi dans le théâtre forain, mais pas en Bretagne. Francis Wilkes-Beedle et Jeanne Mouton font du théâtre forain itinérant dans les départements du Cher, de l’Allier et du Puy-de-Dôme. 

 

Voilà des éclairages qui nous permettent de retracer les grandes étapes de ce formidable Théâtre Mouton.

Bravo les artistes !

 


Pour retourner au sommaire du blog, cliquer ici

 

A retrouver sur ce blog

L'histoire du Théâtre de l'espérance de la famille Audroin, cliquer ici

 

Notes

Recherches dans les archives de Ouest-France et du Télégramme.

(1) Le théâtre à Rennes, recherches d’histoire locale, notes et souvenirs. Lucien Decombe 1899.

(2) Article, dans la revue Folklore de Champagne, consacré au gens du voyage et à leurs théâtres populaires comme le Théâtre Lamberty. Cliquer ici


(3) Sur cette question du privilège, lire l'article suivant "Les Théâtres parisiens à l'heure du privilège (1807-1864), l'impossible contrôle", cliquer ici

(4) De nombreux renseignements et documents (archives de 1879, photo du théâtre Mouton...) ont été fournis par Jean-Pierre Bernardon, descendant de la famille Beedle-Mouton.

(5) Pour lire l'article de Loli Jean-Baptiste, "Le théâtre forain ambulant, un art populaire oublié", cliquer ici 


Sources

Facebook "Forain d'autrefois", cliquer ici 

Blog de la famille Lamberty, branche évangélique tzigane, cliquer ici

On peut se reporter à un article spécifique sur l'histoire de Romain Mouton, appelé le Père Mouton (cliquer ici) et un autre article sur Marthe Mouton, née Calphas (cliquer ici).

Correspondances avec Jean-Pierre Bernardon 2023

Musée du théâtre forain à Arthenay, cliquer ici


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